La dette … Si tu es de gauche, ne « like » pas les déficits publics

Charlie Hebdo –  21/03/2018 – Jacques Littauer –
Longtemps, la gauche a vu dans le déficit public la solution au chômage. Mais le niveau actuel de la dette rend impossible la poursuite de cette politique. L’État a besoin d’argent ? Pas de panique : il y en a.
Extraordinaire France. Mis à part la Hongrie, nous avons le pire déficit budgétaire de toute l’Union européenne. Et voilà que le débat sur l’utilisation d’une «cagnotte» fait son retour! Des pays qui ont de l’argent en trop, il en existe, comme l’Allemagne (+2,5%), les Pays-Bas (+1,4%) ou… le Portugal (+1,5%). Nous, comme le dit Gérald Darmanin, l’orfèvre des chiffres qui frappent, nous perdons «2115 euros par seconde» .
Chers amis, je vous le dis tout de go : nous devons procéder à une déchirante révision intellectuelle. Jusqu’à il y a peu, les choses étaient simples : la droite était contre le déficit parce qu’il est synonyme d’État inefficace. À l’inverse, la gauche voyait dans le déficit la solution au chômage : en dépensant de l’argent, par exemple dans de grands travaux, l’État donne du travail aux entreprises, ce qui fait baisser le chômage.
En cas de forte crise, les keynésiens ont encore et toujours raison. C’est parce que Barack Obama a laissé exploser le déficit aux États-Unis (10% du PIB) que la hausse du chômage y a été maîtrisée. Et c’est parce que des politiques d’austérité ont été menées en Europe que le chômage s’y est enkysté. Le summum de l’absurdité fut atteint en Grèce, où la réduction des dépenses publiques, justifiée par la lutte contre les déficits, a provoqué une giga-récession qui a… provoqué un effondrement des recettes fiscales.
De plus, les politiques d’austérité imposées à la Grèce ont causé une très forte augmentation des suicides, des contaminations au VIH, des retards de soins, des grossesses précoces faute de pouvoir payer les frais de contraception, etc. Faire de la réduction des déficits la priorité des priorités, comme l’a fait l’Europe, peut donc parfois être criminel.
Mais aujourd’hui, on ne peut pas faire l’impasse sur le fait que le déficit public, et surtout la dette, préoccupe les citoyens. En effet, la dette publique en France est passée de seulement 20 % du PIB en 1980 à près de 100 % aujourd’hui. Est-ce du fait d’une dérive des dépenses publiques ? Non, puisque leur part dans la richesse nationale à diminué. 
En fait, la dette est d’abord due aux nombreux cadeaux fiscaux qui ont privé l’État de dizaine de milliards d’euros, à l’image des baisses d’impôts décidées par Laurent Fabius et poursuivies par Christine Lagarde. De plus, l’État a versé des taux d’intérêt bien trop élevés à ses prêteurs (1). Enfin, il ne faut pas oublier que la crise de 2008 est la conséquence d’un excès de dettes privées, les prêts immobiliers que les pauvres n’avaient aucune chance de rembourser.Or elle a coûté cher à l’État en « sauvetage » de banques (6 milliards rien que pour Dexia) et en aides sociales pour les chômeurs et leurs familles.

Donc, même si l’État n’a pas été dépensier, aujourd’hui, pourtant, tous l’accusent. La vie est souvent injuste. Si nous voulons relégitimer l’action publique, elle doit être exemplaire, comme l’ont compris depuis les années 1930 les sociaux-démocrates nordiques, qui n’ont jamais été les adeptes du déficit. Comment en effet justifier de très hauts impôts si la gestion publique n’est pas irréprochable ?
Oui mais, dira-t-on, revenir à l’équilibre budgétaire est impossible. Or, au contraire, c’est incroyablement facile. En 2010, un rapport de Gilles Carrez montrait que sans les réductions d’impôt des années précédentes, le budget de l’État aurait été excédentaire en 2006, 2007 et 2008. Au lieu de ça, à cause de l’idéologie crétine selon laquelle « les gens savent mieux que l’État quoi faire de leur argent », la dette a augmenté durant ces trois ans de 170 milliards d’euros, soit près de la moitié du budget annuel du pays !
Et la lutte contre la fraude fiscale (60 milliards de perdus), la suppression des dépenses inutiles (le CICE, 20 milliards de charges en moins pour les entreprises, aucun emploi créé) et l’instauration de nouvelles taxes sur les hauts revenus et l’héritage (ben oui), le déficit (70 milliards) sera vite comblé. Ils nous renouerons, enfin, avec une action publique efficace et légitime.
(1) Que faire de la dette ? Un audit de la dette publique de la France (mai 2014, https//lc.cx/ABZi)
Rien qu’entre le dernier trimestre de 2015 et le premier trimestre 2016, la dette publique a augmenté de près de 40,7 milliards d’euros selon les données publiées par l’Insee.
Préjugés sur la dette :
1 –« La dette publique, c’est la gauche » : FAUX ! Sans commen­taires 
2 – « Pour sortir de la crise de la dette, il faut réduire les dépenses publiques » : Faux ! C’est une possi­bi­lité mais certai­ne­ment pas une obli­ga­tion : on peut aussi choi­sir de main­te­nir les recettes, voire de les augmen­ter !
Lire aussi :Les égoïstes et la dette publique  (Siné Mensuel-  juillet 2017)
Thomas Piketty : « La dette publique est une blague ! La vraie dette est celle du capital naturel » Reporterre août 2015

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