A l’occasion de l’Earth Hour, le chef de l’Etat a posté sur Twitter une vidéo dans laquelle il alerte sur l’effondrement de la biodiversité. Passée assez inaperçue, cette intervention aura pourtant un impact que nous ne soupçonnons pas, estime dans sa chronique Stéphane Foucart, journaliste au « Monde ».
Le Monde | 31.03.2018 | Par Stéphane Foucart
Chronique. « Imaginez. Vous vous réveillez et quelque chose a changé. Vous n’entendez plus le chant des plus le chant des oiseaux. Vous regardez par la fenêtre : les paysages que vous avez jadis chéris sont désormais desséchés et toute vie en a disparu. L’air et l’eau, tout ce que vous respirez et qui permet la vie, est altéré. Ce n’est pas un cauchemar et encore moins une illusion. Vous le savez. Vous le savez parce que nous en constatons les premiers effets. Le temps du déni est révolu. Nous ne sommes pas seulement en train de perdre la bataille contre le changement climatique, nous sommes en train de perdre notre bataille contre l’effondrement de la biodiversité. »
Ces mots d’alarme ne sont pas ceux d’un militant écologiste : ce sont ceux du président de la République française, prononcés (en anglais) dans une brève vidéo postée le 24 mars à 20 h 35 sur son compte Twitter.
L’adresse d’Emmanuel Macron s’achève en enjoignant aux citoyens d’accomplir le geste symbolique institué un samedi de la fin du mois de mars depuis une dizaine d’années par le WWF, avec l’Earth Hour : éteindre la lumière pendant une heure, en signe d’adhésion aux politiques de protection de l’environnement. En clôture de la courte séquence, un dernier plan montre, en exemple, l’extinction des feux au palais de l’Elysée.
Emmanuel Macron ✔ @EmmanuelMacron
Join the fight for nature, switch all your lights off. #EarthHour
21:35 – 24 mars 2018
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« L’allocution du 24 mars d’Emmanuel Macron a inscrit la biodiversité dans la parole présidentielle »
Un terme vague et technique
L’allocution présidentielle a été visionnée un peu plus de 200 000 fois sur le réseau social, mais est passée à peu près inaperçue des grands médias. Poliment ignorée, ou presque. Cette relative indifférence ne tient sans doute pas uniquement à l’encombrement de l’actualité, marquée par l’émotion qui a suivi l’attentat de Trèbes (Aude) et l’assassinat de Mireille Knoll. Il y a aussi, plus probablement, la difficulté à installer la question de la biodiversité au cœur du débat public. « Biodiversité » : le terme est vague, technique, n’évoque pas grand-chose en lui-même. Sans incarnation forte autour d’une espèce ou d’une… ou d’une faune emblématique, il tombe à plat dans la conversation…
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Pour qu’il devienne un sujet, il lui faut des images fortes. La semaine passée n’en a pas été avare. Le 20 mars, le CNRS et le Muséum national d’histoire naturelle annonçaient conjointement que les populations d’oiseaux des campagnes françaises avaient chuté à « une vitesse vertigineuse » ces dernières années, perdant quelque 30 % en quinze ans : l’information a suscité une couverture médiatique et un émoi considérables. De même que la mort, quelques jours plus tard, du dernier représentant mâle de la sous-espèce de rhinocéros blanc du Nord… Mais, dans la foulée de ces deux événements, la remise de cinq rapports par la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), dressant le premier grand état des lieux, alarmant, du rythme auquel la vie s’érode sur tous les continents, a fait chou blanc.
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Seuls deux titres généralistes de presse écrite (Le Monde et La Croix) ont rendu compte à leurs lecteurs des conclusions de cette expertise – l’analogue, pour la biodiversité, du travail conduit par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Les incarnations visibles et tangibles de la perte du vivant nous interpellent, quand le phénomène en tant que tel tend à nous laisser de marbre.
Pourtant, les périls sont immenses à laisser la vie s’étioler comme elle le fait, sous toutes les latitudes. La fertilité des sols dépend de leur activité biologique, de même que leur capacité à absorber et filtrer les eaux, les rendements d’une grande part de nos cultures dépendent de la pollinisation, la productivité des océans dépend en partie de l’état de santé des récifs coralliens, les mangroves assurent la protection des littoraux, les forêts luttent contre l’érosion, etc.
Facteur de stabilité
Le maintien de la biodiversité n’est pas qu’une lubie d’amoureux des beautés de la nature. Si sa valeur intrinsèque est inestimable, celle-ci est aussi garante du bien-être matériel des hommes, un facteur de stabilité des sociétés. Ce devrait donc être un enjeu politique au sens plein du terme, c’est-à-dire lié à la définition de l’organisation sociale de la cité, de ses finalités et des moyens à mettre en œuvre pour les atteindre. Au contraire, la question du vivant demeure incarcérée dans des considérations techniques, souvent déléguée à la gestion bureaucratique des experts et de l’administration.
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Si l’on veut enrayer le déclin de la biodiversité – qui n’est pas un problème de pays lointain, mais une question qui se pose sous nos latitudes, ici et maintenant –, les transformations à apporter à nos systèmes productifs (et donc à nos habitudes de consommation) sont si importantes et doivent être opérées si vite que l’aménagement du système actuel à la marge n’y pourrait rien. Sans impulsion politique forte, nous sommes voués à voir le vivant poursuivre sa dégringolade – rappelons que des travaux récents suggèrent qu’en Europe occidentale, de 75 % à 80 % des insectes volants ont disparu en l’espace de seulement trois décennies.

. / AFP / POOL / Etienne LAURENT