Centrales nucléaires : petits réacteurs, petites catastrophes ?

La Décroissance – avril 2018 – Stéphane Lhomme –
Vous le savez, nos grands fleurons de l’atome sont en pleine panade et n’arrivent pas à faire sortir de terre leurs réacteurs EPR : les chantiers accumulent des années de retard et les surcoûts par milliards. Qu’à cela ne tienne, ils planchent sur des réacteurs de quatrième génération qui, seraient alimentés avec de l’uranium appauvri et du plutonium, et refroidis au sodium. La mise en service d’un réacteur expérimental de 600 MégaWatts était prévu à la fin des années 2030, mais le projet est déjà trop coûteux, alors les nucléocrates se replient sur des réacteurs encore moins puissants. 

La nouvelle stupéfiante est tombée le 15 mars 2018 sous la forme d’une dépêche titrée « Le nucléaire français réfléchit à des réacteurs de petite taille« . Ébouriffant, effarant, étourdissant, prodigieux, renversant… on cherche les superlatifs les plus édifiants pour célébrer la nouvelle. Si vous vous concentrez sur le début de la phrase, vous détectez immédiatement de quoi il s’agit : « Le nucléaire français réfléchit« .  Eurêka ! enfin !Il aura en effet fallu attendre environ 70 ans pour commencer.
Bon, évidemment, le soufflet retombe très vite avec la fin de la phrase : »… à des réacteurs de petite taille. » Il est cependant possible d’être indulgent avec nos ruineux nucléocrates qui sont en train de découvrir l’activité qui consiste à se servir de son cerveau pour penser : on ne peut trop leur en demander d’un seul coup !
De toute évidence, en annonçant qu’ils veulent construire de petits réacteurs, ils reconnaissent qu’ils sont incapables d’en faire des gros. Leurs prédécesseurs ont pourtant (et hélas) réussi à construire en France, des années 1970 jusqu’aux années 1990, 58 réacteurs se répartissant ainsi : 34 d’une puissance 900 MW, 20 de 1300 MW, puis dans les années 90, 4 de 1450 MW.  Pour mémoire, ces réacteurs « français » sont en réalité américains, achetés à Westinghouse, entreprise qui a longtemps été le « géant » du nucléaire aux USA et dans le monde… avant de faire faillite en 2017, pratiquement en même temps que le français Areva : sale temps pour les atomistes !
Mais, même si l’essentiel du « mérite » revient aux américains, le fait est qu’EDF a réussi à construire une soixantaine de « gros réacteurs et à les faire fonctionner tant bien que mal pendant quelques décennies, évitant jusqu’à ce jour de causer une catastrophe même si le pire a été frôlé à plusieurs reprises.
C’est alors que tout est parti en quenouille. En 2003, Areva brade aux Finlandais une énorme réacteur de 1650 MW, le fameux EPR, qui n’existait alors que sur le papier. Les travaux commencent en 2205 et le réacteur doit entrer en service en 2009. Or, nous sommes en 2018 et il n’est toujours pas achevé !
En 2005, EDF brade un autre EPR… aux français (c’est plus facile comme ça). Les travaux commencent en 2007 pour une mise en service en 2012 : EDF se gausse d’Areva et assure être en capacité de construire vite et bien son EPR. Mais ce chantier est lui aussi un flop total : aux dernières nouvelles, l’entrée en fonction serait pour 2020. Mais à Flamanville comme en Finlande, de nouveaux retards et surcoûts se produisent toujours… Par ailleurs, impossible de passer sous silence le flop historique du surgénérateur Superphénix, un réacteur à neutrons rapides et à caloporteur sodium d’une puissance de 1240 MW, mis péniblement en service en 1984 et fermé en 1997 après d’innombrables pannes. 
Des nucléocrates impuissants
Eh bien sachez que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) veut retenter sa chance et construire un nouveau surgénérateur, joliment nommé Astrid, d’une puissance de 600 MW : 40 ans plus tard, une puissance divisée par deux. Mieux : tout récemment, on a appris que le CEA envisageait désormais une puissance de 100 à 200 MW, c’est-à-dire 6 à 12 fois moins que Superphénix !
Voilà qui nous amène aux nouveaux projets d’EDF, les fameux « réacteurs de petite taille » qui, selon Reuters, seraient d’une puissance de 150 à 170 MW : dix fois moins que l’EPR ! Et, toujours dans la dépêche d’agence, on peut lire la déclaration de M. Knoche, directeur général d’Areva : « Avec la possibilité de fabriquer un maximum de choses en usine – contrairement à des gros réacteurs qui doivent être construits sur site, -, il faut anticiper l’économie d’échelle, c’est-à-dire savoir à quel point une série assez longue va permettre d’abaisser les coûts. » C’est quand même amusant car, 15 ans plus tôt, sa prédécesseur, Anne Lauvergeon assurait elle aussi que la puissance de l’EPR allait précisément permettre… d’abaisser les coûts !

Alors, faut-il construire un EPR de 1600 MW ou deux demi-EPR de 600 MW ? Ou quatre réacteurs de 300 MW ? Ou encore 10 de 160 MW, puissance envisagée par EDF ? Les retards et surcoûts des chantiers seraient-ils plus ou moins lourds ? Et, encas de mise en service (à condition d’arriver à finir au moins un réacteur !), une catastrophe tuerait-elle deux ou quatre ou dix fois moins de personnes ? Dix petits réacteurs pourraient-ils exploser en même temps ? Où à tour de rôle, par exemple un par an ? Les nuages radioactifs venus des réacteurs moyens s’arrêteraient-ils aux frontières de régions, ceux des petits réacteurs aux limites de départements ? 
Voilà bien des questions auxquelles vont pouvoir s’atteler nos nucléocrates, maintenant qu’ils ont enfin décidé de réfléchir. Peut-être arriveront-ils ainsi à la seule conclusion de bon sens, que nous révélons régulièrement dans nos colonnes : il ne faut construire que des réacteurs nucléaires d’une puissance de… zéro MW !

A propos werdna01

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