L’Europe serait-elle en train de sacrifier une partie de sa filière bovine au profit de ses intérêts industriels ?

Le Canard enchaîné – 02/05/2018 – Jérôme Canard –
Les parlementaires se posent sérieusement la question. Le 21 avril, la Commission européenne a signé un traité de libre-échange avec le Mexique. Si l’Europe n’est que le 10ème partenaire commercial des Mexicains, ce traité est un vrai pied-de-nez aux États-Unis, en passe de renégocier leurs accords commerciaux avec leurs voisins Nord- et Sud-américains. L’Union européenne, elle, joue la carte du partenaire ouvert et fiable.
Sauf qu’un point de la convention n’a pas été rendu public : le traité prévoit l’importation de 20 000 tonnes de viande bovine mexicaine. Et les États membres ont été mis devant le fait accompli. Plusieurs députés européens s’en sont émus, sans réaction, pour l’instant, de la Commission. Plus grave encore à leurs yeux, : l’accord commercial en cours de discussion avec le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, Bolivie).  Ce sont 90 000 tonnes de viande bovine, cette fois, qui pèsent dans la balance. pour les régions d’élevage (dans l’Ouest de la France ou en Irlande -, l’impact économique pourrait s’avérer meurtrier.

Comme des bêtes
Cependant, à court terme, c’est le risque sanitaire qui inquiète le plus les eurodéputés. Une délégation d’élus, parmi lesquels deux Français experts des questions agricoles, Michel Dantin (LR) et Eric Andrieu (PS), s’est rendue, début avril, dans plusieurs abattoirs du Brésil pour y vérifier le respect des normes sanitaires. Parmi ceux-ci, l’un des plus modernes du pays, situé au Matto-Grosso, a vu sa belle façade se fissurer lorsque l’un des employés brésiliens qui répondait aux questions insistantes de Michel Dantin, a gaffé. Les élus ont ainsi découvert que les responsables de l’abattoir constituaient des lots de viande destinées à l’export avec des bêtes provenant de différents élevages… dont il était impossible d’indiquer la traçabilité.
A leur retour, les élus alertent les autorités bruxelloises. Dont la réaction les stupéfait. Sur la défensive, des fonctionnaires de la Direction générale de la santé répondent aux représentants de la filière viande à Bruxelles que les parlementaires européens… n’y comprennent rien !
Vétos ripoux
Il est vrai que le risque paraît négligeable : en mars 2017, puis de nouveau il y a deux mois, la police brésilienne a démantelé un vaste réseau de fraude à l’exportation de viande bovine et de volaille – des laboratoires avaient falsifié les résultats d’analyse de bidoche avariée. Sur les 50 vétérinaires incriminés, trois se trouvent désormais derrière les barreaux; les autres continuent d’exercer. Le rapport des députés européens sera voté en juin. D’ici là, la Commission européenne aura peut-être déjà signé l’accord commercial avec le Mercosur. Sur les consommateurs, il aura un effet bœuf.
La politique commerciale européenne
La politique commerciale de l’Union européenne est l’une des politiques communes les plus intégrées. Elle relève pour l’essentiel de la compétence exclusive de l’Union européenne, ce qui permet à l’UE de défendre ses intérêts internationaux d’une seule voix. Celle-ci est alors représentée par la Commission européenne auprès des États tiers (c’est elle qui négocie par exemple les accords de libre-échange) et des organisations internationales, bien que les États membres et le Parlement européen conservent de nombreuses prérogatives, comme le droit de veto pour la ratification des accords commerciaux.

Régie par les traités, la politique commerciale européenne s’efforce de contribuer « au développement harmonieux du commerce mondial, à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs, ainsi qu’à la réduction des barrières douanières et autres » (article 206 TFUE). La libéralisation du commerce mondial est ainsi l’un de ses objectifs, rappelle la Commission européenne.
L’un des axes principaux du commerce extérieur de l’UE est le développement des échanges bilatéraux avec les pays tiers, concrétisés ou non par des accords de libre-échange. La Commission européenne a accéléré il y a quelques années les négociations avec les États-Unis (TTIP ou Tafta, aujourd’hui au point mort), le Canada (le CETA a été signé le 30 octobre 2016), et plus récemment le Japon (en bonne voie), le Mexique, le Mercosur ou encore la Chine. Elle compte notamment occuper la place que la réorientation protectionniste engagée par le président américain Donald Trump laisserait vacante, y compris sur le terrain de la régulation du commerce mondial, alors que la concurrence chinoise se renforce. Elle octroie aussi un certain nombre d’avantages commerciaux aux pays en développement et aux pays les moins avancés, à travers un système dit de « préférences généralisées ».
La carte ci-dessous, réalisée par la Commission européenne, présente les accords commerciaux de l’Union européenne avec des pays tiers. Les pays marron foncé sont ceux avec lesquels l’UE a adopté de tels accords, en marron clair ceux dont l’accord doit encore être formellement adopté ou ratifié, en jaune ceux dont l’accord est en cours de négociation.

A propos werdna01

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