Métaux rares, la nouvelle dépendance

L’âge de faire – mais 2018 – Propos recueillis par Nicolas Bérard – 
Les métaux rares sont indispensables à la confection de smartphones, des voitures électriques ou des panneaux photovoltaïques. Auteur du livre La guerre des métaux rares, Guillaume Pitron nous explique les enjeux de ce nouvel extractivisme. 
L’âdF : Que sont les métaux rares et portent-ils bien leur nom ? 
Guillaume Pitron : Dans la nature, il y a les métaux abondants, qui sont ceux du quotidien ou en tout cas ceux qui nous parlent le plus : le fer, l’aluminium, le cuivre… Mais ceux-ci sont associés à des « métaux rares », un  peu comme dans une forêt où vous aurez des essences d’arbres abondantes et d’autres beaucoup plus rares. Ainsi, dans un gisement de fer, vous trouverez également un métal rare appelé néodyme, mais en quantité 1200 fois moins importantes. Et 2650 fois moins de gallium de fer, un autre métal rare. Ils se trouvent un peu partout dans l’écorce terrestre, ils ne sont donc pas très « rares », mais ils s’y trouvent en quantités infimes par rapport aux métaux courants.

Comment expliquer une telle course aux métaux rares ?
G. P. : On s’est aperçu qu’ils avaient des propriétés extraordinaires, notamment dans le secteur du numérique, où ils agissent un peu comme des super-vitamines : sans eus, ça fonctionne, mais c’est moins rapide, moins puissant, moins miniaturisé… Ils permettent aussi de faire des innovations. L’indium, par exemple, réduit en poudre, a permis de créer les écrans tactiles dont tous les smartphones sont désormais équipés. Le marché mondial est en continuelle expansion, donc la demande st sans cesse croissante. 
Parallèlement, ces métaux sont aussi très utilisés dans toute la « green tech » : les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les voitures électriques, leurs batteries… Là aussi, un marché en pleine expansion. D’autant plus que l’on a assisté ces dernières années à une convergence de ces deux secteurs, puisque la transition telle qu’on nous la présente, allie justement la « green tech » et le numérique. Notre modèle de développement fait donc que nous sommes totalement dépendants de ces métaux.
Une grande partie de ces ressources arrivent de Chine. Est-ce parce que les gisements se trouvent là-bas ?
Ça n’est qu’une partie de la réponse. Oui, la Chine a d’importants gisements de métaux rares. Mais ce n’est pas le seul pays a en avoir. Il y en a aux États-Unis, en Afrique, en Australie… en France, nous en avons aussi quelques uns. Mais ce qu’il s’est surtout passé, c’est que la période à laquelle nous avons découvert ces ressources, en gros les années 80 et 90, correspond aussi à celle à laquelle les pays occidentaux ont renforcé leurs règles environnementales. Or, l’extraction de ces métaux est extrêmement polluante : elle nécessite une grande quantité d’énergie, beaucoup d’eau, l’utilisation de produits chimiques… La Chine, de son côté, sortait du maoïsme, voulait intégrer l’économie mondiale et a accepté de faire ce travail. En gros, on s’est partagé la « transition écologique » : eux faisaient le sale boulot pendant que nous prétendions pouvoir être propres.

Risquons-nous vraiment de manquer de métaux rares et quelles conséquences cela pourrait-il avoir ?
Nous trouverons toujours des métaux rares dans l’écorce terrestre. Le dernier gramme n’est pas pour demain. Il s’en trouve même au fond des océans et sur les astéroïdes. La question est plutôt : à quel coût énergétique, environnemental, économique, faudra-il aller les chercher ? Quel est le seuil à partir duquel l’humanité considérera que les inconvénients générés par l’extraction de ces petits métaux outrepassent les avantages qu’ils nous procurent ? Les limites ne sont pas géologiques mais énergétiques, économiques, sociales. Là réside un risque de rareté que je qualifierais d' »industrielle ». Le jour où nous manquerons, faute de vouloir les exploiter, de ces métaux, nous nous tournerons vers de nouvelles technologies de l’énergie : la pile à hydrogène, la suspension magnétique, la fusion nucléaire… Mais n’oubliez pas qu’on ne règle jamais un problème, on ne fait que le déplacer.
La question de ces métaux rares nous fait finalement toucher du bout du doigt l’hypocrisie de ce que nous appelons « la croissance verte » ou « développement durable » ? 
nous voulons le beurre et l’argent du beurre : nous voulons la transition énergétique sans les inconvénients de celle-ci. Au lieu d’agir sur nos modes de vie et de consommation, nous nous lançons donc dans une transition qui nous contraint à exploiter toujours plus de ressources naturelles. D’une dépendance au pétrole, nous ajoutons une dépendance aux métaux rares tout en demeurant toujours largement dépendants du pétrole. Et on se retrouve dans une situation où, pour augmenter la part des énergies renouvelables, on doit accélérer encore notre extractivisme. pour combler tous nos besoins, il faudrait extraire dans les trente prochaines années autant de métaux que ce que l’humanité a consommé en 70 000 ans ! 
Ed. Les liens qui libèrent / 296 pages / 20 euros

A propos werdna01

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