Des « prédateurs » font leur nid dans des résidences pour personnes âgées

Le Canard enchaîné – 23/05/2018  – Dominique Simonnot –

Ils veulent supprimer les services à la personne pour faire monter le prix de leurs logements.
Jeune retraitée, elle était ravie d’emménager, il y a quelques années, dans cette « résidence senior avec services » à Paris, dans le XII ème arrondissement. « Je pensais poser mes meubles au paradis, c’est devenu un cauchemar. » La faute à 14 nouveaux résidents qui ont déclaré la guerre aux 84 anciens.
« Ils les terrorisent de mille façons (insultes, bousculades, affichage de tracts vengeurs) et asphyxient financièrement les copropriétés en refusant de payer les charges ! » s’indigne Gilles Carlach, président de l’Association  nationale des copropriétés avec services (ANCS), qui voit le phénomène se reproduire dans plusieurs de 35 résidences  regroupées au sein de son mouvement.
A l’origine de cette castagne, de nouveaux occupants très agressifs, certains acculés par les dettes, d’autres poussés par l’appât du gain. Beaucoup, en effet, ont payé leur logement très en-dessous du tarif du marché : de 3 500 à 5 000 euros le mètre carré, quand le prix moyen du quartier avoisine les 8 500 euros. 
Pourquoi ? Parce que ces résidences, destinées aux « plus de 55 ans autonomes« , sont grevées de lourdes charges. Si elles offrent à tous des services mutualisés – accueil, gardiens, restaurant, badges et alarmes de sécurité, personnel paramédical, aides à la personne – la facture atteint entre 7 000 et 8 500 euros par an ! Les « prédateurs« , comme les appelle Gilles Carlach, cherchent donc à supprimer ces charges… afin de revendre leur bien avec un copieux bénéfice. Parmi les copropriétaires les plus offensifs ? Les héritiers, détenteurs d’un bien leur coûtant une fortune, qui cherchent à s’en défaire au plus vite. Nombre d’entre eux animent l’Association de défense des victimes des résidences services seniors et tempêtent conte ces « pièges à cons » (les services) qui les « mettent sur la paille« .
Sévice compris
L’un des ces malheureux se plaignait, en 2013 dans Le Point,. Il a, depuis, acquis pour une bouchée de pain huit appartements dans ces résidences honnies. Serait-il devenu un « prédateur » ? D’autres ont acheté des deux-pièces pour 5 000 euros à Vannes et même… pour 1 000 euros à Tours ! 
En 2015, Laurence Rossignol, secrétaire d’État chargée des personnes âgées, avait proposé, via la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, de « sécuriser » ces résidences services. Mais le texte recèle de nombreuses failles juridiques, tout comme les règlements de copropriété.
Parmi les arguments des plaideurs : « Réserver ces résidences à des gens de plus de 55 ans est illégal, selon la Cour européenne ! » Et, le restaurant, pourquoi le payer quand on n’y va jamais ? Et ces « services à la personne« , ou « paramédicaux« , ne seraient-ils pas « illégaux » au motif que « les résidences services n’ont pas le droit de pratiquer la médecine » ?
« Les actes essentiels de la vie quotidienne (aide aux soins, au ménage, à la toilette, aux courses) sont autorisés, réplique Gilles Carlach. Quelques résidences ont même gardé une infirmière pour faire de la coordination, c’est légal aussi ! »
Attention les vieux !
Une résidente s’affole à l’idée que la suppression des services mutualisés à la personne soit inscrite à l’ordre du jour de la prochaine AG. « Ici, tout le monde n’est pas en état de se défendre… » Autres preuves de ce harcèlement  : à Tours, des vendeurs qui, dans le hall, proposaient des vêtements, babioles, bijoux et autres parfums ont été chassés de la résidence. « C’était gai et pour ceux d’entre nous qui ne peuvent guère se déplacer, c’était formidable ! » déplore un pensionnaire. « C’était une occupation illégale des locaux« , rétorque l’autre camp. Également bannis : les fauteuils sur lesquels on attendait confortablement l’ascenseur. « C’est très gênant, ces gens ont acheté à des prix très bas. Ils sont mal-aimables avec nous et font tout pour qu’on fiche le camp, tremblote une vieille dame. On finit par perdre le moral…« 
Voire par abandonner. Il y a cinq ans, de guerre lasse, les résidences de Nice et de Montrichard (Loi-et-Cher) ont totalement renoncé à leurs services à la personne. Les propriétaires sont-ils redevenus aimables ?

 

A Montrichard, un paradis au bord de la ruine (Le Parisien – janvier 2014)
Dans la coursive déserte qui donne accès aux appartements du pavillon Cheverny, des pastilles rouges sont collées sur les portes. « C’est pour signaler aux pompiers que l’appartement est inoccupé en cas d’évacuation », explique une ancienne résidente. Sur tout l’étage, une seule pastille verte indique la présence d’un occupant.
Bienvenue aux Résidences Touraine, bâties à la fin des années 1960 et censées être alors un paradis pour personnes âgées. Le cadre, certes, y est pour beaucoup : Montrichard (Loir-et-Cher) est une charmante bourgade située à deux pas du château de Chenonceau. Trois cents appartements, 5 bâtiments aux noms des châteaux de la Loire, un vaste parc surplombant le village. Seulement voilà, l’ensemble ressemble désormais à une ville fantôme. « Moins de 40 logements sont occupés », explique une hôtesse, trente-sept ans d’ancienneté, qui attend son licenciement comme la cinquantaine d’autres employés. En effet, l’assemblée des copropriétaires vient de voter la fin des services.
Comment en est-on arrivé là ? Le piège s’est refermé quand certains des propriétaires n’ont pu acquitter leurs charges. Dans ce modèle tout en un, les habitants devaient tous payer les services, même s’ils ne les utilisaient pas. La facture pouvait dépasser les 1000 € mensuels! A Montrichard, les occupants disposaient d’un restaurant et d’une cuisine par bâtiment, d’un minibus avec chauffeurs… Un luxe apprécié par les résidents, mais qui a fini par signer l’arrêt de mort du site.
« Certains propriétaires âgés ont dû se faire hospitaliser. Un autre type de souci est survenu, lorsqu’un des deux conjoints est décédé et que l’autre n’a pas pu continuer à payer les charges », poursuit une hôtesse. L’engrenage fatal s’enclenche, l’addition retombant souvent sur les héritiers — plusieurs ont refusé la succession… Privée de ces recettes, la résidence, elle, périclite, avec à la clé un passif de 3 M€.
Que deviendront les résidents encore sur place? Sans surveillance quotidienne, c’est pour certains un problème de survie qui les menace. « Quand je suis arrivé ici, je pensais y finir mes jours, raconte Gilles Sabin, « benjamin » de la résidence à 70 ans. Mais, sans les services, je ne sais pas ce que je vais devenir. » Ancien de GDF, il a tout vendu pour acquérir son studio. « Je peine à marcher, le bus qui m’emmène en ville est pratique. Et après? Je serai condamné à rester chez moi! »
Alertée, la mairie de Montrichard a pris en main le dossier pour que des services soient proposés par des prestataires extérieurs. « Mais c’est deux fois plus cher! » s’emporte Gilles. Quel avenir pour Montrichard ? Une fois les services supprimés, le conseil syndical (qui n’a pas souhaité répondre à nos questions) espère que les appartements pourront être loués normalement. Seuls 5 locataires « classiques » sont arrivés.

A propos werdna01

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