Édouard Philippe soigne les labos pharmaceutiques

Charlie Hebdo – 25/07/2018 – Jacques Littauer – 
Le gouvernement veut une industrie « compétitive » dans tous les domaines, y compris celui de la santé. Pour cela, il a recours à une astuce assez simple : lui garantir des ventes, et donc des profits, en payant avec  le pognon de la Sécu. Le nôtre, quoi.
Ce mardi de 10 juillet 208, l’équipe française masculine de foot a battu sa rivale belge, s’ouvrant la voie du sacre que l’on sait. Au même moment, réunis à Matignon, quelques patrons de laboratoires pharmaceutiques ont eux aussi, plus discrètement, mis de jolies cacahuètes en pleine lucarne. Détail agaçant : ces buts, ils les ont marqués contre nous.
il s’agissait de la réunion du Conseil stratégique des industries de santé, un machin qui permet aux laboratoires pharmaceutiques de parler directement à l’oreille des pouvoirs publics. Or ces industriels, qui dirigent des entreprises parmi les plus rentables après la Mafia, l’armement, le luxe et les banques, ne sont pas contents. Ils voudraient que l’État leur achète plus de médocs, plus chers, et sans leur imposer tout un tas de longues procédures. 
Et que croyez-vous que fit Édouard Philippe, ci-devant Premier ministre de la République ? Il leur donna raison sur tout. Car, comme il l’a indiqué, il était là pour soutenir l’industrie de la santé. Non pas parce qu’elle soignait des malades, ce qui lui arrive parfois, mais parce qu’elle était « le 3ème exportateur français après l’aéronautique et l’automobile 1« . Mais, nous dit Édouard, attention , « des pays comme l’Inde et la Chine, ou même, plus proches de nous, l’Italie, la Suisse, l’Allemagne ou le Royaume-Uni sont désormais des compétiteurs redoutés« . Diantre. Ces féroces soldas viendraient-ils dans nos campagnes soigner nos fils et nos compagnes à la place de nos chers Sanofi, Pasteur, Servier et autres Boiron ? Dans le doute, afin de permettre aux apprentis sorciers français d’écouler toujours plus vite leurs poudres de perlimpinpin, le gouvernement s’engage à « réduire drastiquement » la durée des essais cliniques. Et tant pis si, en se grouillant un peu trop, on ne voit pas les possibles contre-indications et autres effets secondaires. Oui, tant pis.
Par contre, comme le côté désintéressé, « esprit service public », de certains chercheurs publics est un peu lassant, le Premier ministre veut – comme on le comprend ! – « insuffler un nouvel état d’esprit au mon de l’enseignement supérieur et de la recherche » en lui apprenant une valeur subtile celle de la recherche du pognon à tout prix. A l’inverse, insuffler des valeurs d’intégrité scientifique, de respect des personnes, et de décence dans les hautes rémunérations au monde des industries de santé n’est pas prévu. Sanofi a ainsi pu supprimer 4 000 CDI en France sur 28 000 salariés en sept ans, et fermer des centres de recherche de très haut niveau, sans que personne n’y trouve rien à redire. Et le Premier ministre, bienveillant avec les mauvais élèves, surtout riches et puissants, n’a pas jugé nécessaire de blâmer le même Sanofi, dont l’usine de Mourenx (Pyrénées-Atlantiques), qui fabrique la Dépakine, un médicament à l’origine de graves malformations du fœtus, rejette dans l’air des matières dangereuses à des taux astronomiques (jusqu’à 190 000 fois la norme, record à battre).
Allons, allons, ne nous échauffons pas pour si peu. Ce qui compte, c’est d' »innover« , comme le répète jusqu’à la nausée Édouard Philippe. Innover pour quoi faire, pour résoudre quel problème ? On ne sait pas. Il s’agit juste de créer de nouvelles molécules et de les vendre avant ces salauds de labos chinois, italiens ou allemands, avec qui nous sommes dans une lutte à mort. Comment faire ?  Très simple : assurer aux labos les rentrées de pépètes. Le Premier ministre a donc garanti « un plancher de 3 % de croissance par an » aux médicaments innovants, ainsi qu’une hausse, elle aussi garantie, des dépenses… remboursées par la Sécu, pardi !
Nous sommes donc, braves couillons cotisants, conviés à garantir la hausse des profits de l’industrie pharmaceutique, quelles que soient les merdes qu’elle produit. Alternativement, on pourrait décider au Parlement des priorités de la recherche médicale : lutter contre les maladies environnementales et professionnelles; imposer aux médecins de moins prescrire; dérembourser les médicaments inutiles ou dangereux; éduquer la population, etc. Mais, euh, quel intérêt, franchement ?
1. Édouard Philippe. « Discours devant le Conseil stratégique des industries de santé » (gouvernement.fr 10 juillet 2018)

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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