Autriche – Avec ses élevages à l’ancienne, sans OGM ni fourrage d’ensilage, le pays comble les attentes des consommateurs d’aujourd’hui.

L’Autriche, championne du « lait de foin », écologique et rentable
LE MONDE | 15.08.2018 | Par Blaise Gauquelin (Pays de Salzbourg, envoyé spécial)
Karl Neuhofer a les bottes dans le fumier mais la « tête dans la recherche et l’innovation », comme il dit. Certes, l’exploitation de ce producteur de lait à Strasswalchen, dans la région de Salzbourg, correspond en tout point à l’Autriche des cartes postales : il y a les verts pâturages, les vaches « heureuses » qui portent chacune un petit nom, et bien sûr les montagnes en arrière-plan.

Mais il serait dommage de s’arrêter au décor car cet éleveur est un pionnier, à l’origine de l’émergence du « lait de foin », une appellation peu courante en France mais que les Autrichiens connaissent très bien. Dans ce pays prospère où l’écologie n’est pas un vain mot, 15 % de la production laitière est commercialisée sous le label « Heumilch », lié à un savoir-faire spécifique. Ce taux n’est que de 3 % dans le reste de l’Europe.
« On a commencé en 2009, raconte Karl Neuhofer, qui veille sur un troupeau de 80 têtes. Les petits producteurs avaient du mal à écouler leur lait sur le marché. Du coup on a décidé de se regrouper et de s’organiser pour faire de notre méthode de travail traditionnelle un atout de différenciation dans un marché qui était alors totalement saturé. »
Contrairement à d’autres pays producteurs, l’Autriche (8,7 millions d’habitants) avait gardé des fermes reposant exclusivement sur la consommation de foin. Critiquée à l’époque pour avoir raté le coche de la modernisation, elle se retrouve désormais à la pointe d’un mouvement global de retour aux produits authentiques.
A l’opposé du modèle intensif
Huit mille laiteries et soixante fromageries y forment à présent l’unique réseau mondial de production de « lait de foin ». Dans ces fermes, ni tourteaux de soja importés ni aliment fermenté aux effets gustatifs néfastes : à l’opposé du modèle intensif, le foin séché suffit à nourrir les troupeaux, et le bétail bénéficie dans les régions de l’ouest de l’Autriche d’une alimentation sans OGM ni fourrage d’ensilage. Les bêtes passent l’été au pré ; l’hiver, elles sont nourries avec du foin issu des herbes séchées.

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« Notre approche est globale, explique l’éleveur quinquagénaire. Il ne s’agit pas seulement de proposer le meilleur lait possible. Dans le contexte de réchauffement climatique, c’est aussi une démarche favorisant le développement durable. Mes vaches sortent au plein air 365 jours par an et fertilisent donc naturellement les champs sur lesquels elles gambadent. » Une étude de l’université de Vienne a montré que les pratiques des fournisseurs autrichiens de lait de foin favorisent la biodiversité et la protection de l’environnement.

Le cahier des charges de la coopérative Arge Heumilch exige en effet des éleveurs qu’ils ne procèdent au fauchage dans les prairies qu’après la pollinisation, ce qui favorise la présence des insectes. On compte plus de mille espèces végétales dans les Alpes autrichiennes. Et les races des vaches doivent également rester diversifiées. Karl Neuhofer utilise de l’eau de récupération et l’énergie solaire. Son lait est, par ailleurs, biologique et sans conservateurs.

Vache lproductrice de « lait de foin » l’été au pré dans les Alpes autichiennes. A l’hiver, elle sera nourrie avec du foin issu des herbes séchées

« Si je veux que les enfants reprennent l’exploitation qui est entre les mains de la famille depuis plusieurs générations, alors il me faut pouvoir transmettre un bien qui ait du sens pour eux, estime Karl Neuhofer. Ma démarche s’inscrit dans un contexte d’harmonie entre l’homme, la terre et l’animal. Je respire un air pur. Dans l’étable, cela sent bon l’herbe fraîchement coupée. Il n’y a pas de maladie professionnelle liée à la production de lait de foin. »
Un atout commercial
Andreas Geisler, qui coordonne la production de lait au sein de la coopérative, affirme que l’accent est mis sur le bien-être animal : « En mars, nous avons interdit que les vaches soient attachées en permanence quand elles sont rentrées. »
Au niveau européen, les Autrichiens ont réussi à faire de ces pratiques ancestrales un atout commercial qui porte ses fruits. « En mars 2016, nous avons fait du lait de foin le premier produit alimentaire protégé par l’appellation “spécialité traditionnelle garantie” dans le monde germanique, affirme Christiane Mösl, la responsable du marketing de Arge Heumilch. Cela veut dire que des contrôles indépendants sont réalisés et que l’Union européenne veille au respect du cahier des charges auquel sont soumis nos producteurs. »
Alors que les consommateurs sont devenus méfiants vis-à-vis de l’industrie agroalimentaire, cette distinction a fait exploser les ventes du lait de foin, permettant aux producteurs d’augmenter leurs marges. Pour le lait estampillé « bio », la demande dépasse désormais l’offre. Toutes les grandes chaînes de distribution en proposent.
Et Karl Neuhofer vend son litre de lait 18 centimes d’euro plus cher que si son exploitation était industrielle. La coopérative, qui enregistre 25 millions d’euros de bénéfices par an, les réinvestit chaque année, notamment dans la recherche et l’innovation, dans le but d’afficher prochainement un bilan carbone zéro.
Des producteurs bretons intéressés
L’Autriche exporte la moitié de sa production en Allemagne, ce qui permet aux exploitants de maintenir un rapport de force favorable avec la grande distribution. « Du coup, trois délégations de producteurs français sont venues voir comment on travaillait, rapporte Karl Neuhofer. Ils veulent lancer du lait de foin en Bretagne. »
Les fromages de la coopérative remportent désormais des prix d’excellence. On les retrouve sur les meilleures tables, comme sur celle du Steirereck, un restaurant étoilé de Vienne. « C’est parce qu’avec ce lait-là, nous n’avons pas besoin d’utiliser des additifs », précise Franz Pötzelsberger, un fromager qui produit, dans le village d’Adnet, 270 tonnes de pâtes dures par an, avec du lait de foin bio issu de la coopérative. « Les transformateurs apprécient l’absence des spores des bactéries qu’on retrouve normalement à cause de l’ensilage », témoigne-t-il.
Ses quinze sortes de fromages n’ont rien à envier aux célébrités françaises. Vendues 20 % plus cher que les spécialités ne bénéficiant pas du logo « spécialité traditionnelle garantie », elles lui ont permis d’ouvrir une petite boutique dans laquelle sont également écoulées les spécialités fermières des environs.
Elle est devenue un point de rencontre et d’échange pour toute la région, où les habitants sont fiers d’avoir pu conserver leurs petites structures agricoles.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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