L’Opinion 16/08/ 2018 Pascal Airault , envoyé spécial à Dakar
Société civile – Artistes et intellectuels se sont retrouvés à Dakar à la fin juillet. Leur mot d’ordre : changer le continent. Au Sénégal, mais aussi au Burkina ou au Congo, l’engagement citoyen qu’ils défendent devient un vrai contre-pouvoir
Le poing levé comme symbole des luttes d’émancipation, des artistes et activistes participant à l’Université populaire de l’engagement citoyen (UPEC) à Dakar.© Upec
Les faits – Nouveaux chevaliers blancs, justiciers des temps modernes, arbitres de la société, les rappeurs et activistes se sont retrouvés à Dakar à la fin juillet pour la première édition de l’Université populaire de l’engagement citoyen (Upec). Une rencontre qui a permis de tisser des liens de solidarité entre les mouvements citoyens avec le soutien d’intellectuels du monde académique. A l’issue de leurs travaux, ils ont constitué une plateforme d’échanges Afrikki Mwinda (l’Afrique qui brille) dans le but de mieux organiser leurs combats pour influer sur le cours des évolutions politiques, économiques et culturelles du continent.
La maison de Didier Awadi, dans le quartier Amitié 2 à Dakar, est une ruche humaine. Au milieu des affiches du rappeur et des portraits de combattants de la libération africaine (Cabral, Nyerere, Sankara, Lumumba), artistes, managers, journalistes et amis de passage défilent. La terrasse du dernier étage est aménagée en salle de répétition. La sono distille les paroles de Thomas Sankara : « Le gouvernement est là pour servir le peuple voltaïque, et non pour se servir ou servir quelque puissant du jour ou de la veille ». Puis, le rappeur mauritanien Monza entonne le refrain de l’un de ses titres phares « Démocratie blabla, démocratie y’a pas ». On règle les derniers arrangements du concert de la première édition de l’Université populaire de l’engagement citoyen (Upec).
A Dakar, Didier Awadi, 49 ans, fait figure de grand frère pour la génération des jeunes rappeurs. Il met souvent à disposition son studio et ses musiciens pour les enregistrements. L’ambiance est bon enfant. Entre deux titres, on plaisante sur le devenir de l’Afrique, ses autocrates, en écoutant les paroles de Tiken Jah fakoly, « Tout le monde veut le paradis mais personne veut payer le prix ».
« Nous avons commencé les réflexions avec Tiken au Forum social mondial de Porto Alegre, en 2001, au milieu des altermondialistes comme José Bosé, explique Didier Awadi. Cette rencontre, où l’on a entendu pour la première fois parler de la taxe Tobin, a contribué à ma formation politique et a formalisé notre engagement ». Dans la plus grande fraternité, les deux artistes vont alors partager leurs opportunités de concert, s’entraider, accueillir de nouveaux artistes dans leur cercle d’amis comme le burkinabé Smockey, rencontré lors d’un festival au Bénin.
Francophiles, les artistes ont un profond amour pour leur pays mais aussi une réelle incompréhension face à la passivité de leur peuple, pas toujours enclin à défendre les valeurs de justice, la démocratie et l’équité sociale. Le rappeur camerounais Valsero, opposant à l’éternelle reconduction au pouvoir de Paul Biya, exprimait encore récemment ses frustrations sur Facebook alors que le président camerounais est en lice pour un septième mandat.
Merci aux autocrates. Dans la journée, les rappeurs se retrouvent Place du souvenir Africain, à Dakar, pour assister aux conférences des intellectuels et chercheurs qui succèdent aux activistes évoquant leurs combats. Le lieu a valeur de symbole. C’est là que «Y’en a marre» a lancé ses activités en 2011, transformant son ras-le-bol en philosophie d’action pour faire échec au troisième mandat « anticonstitutionnel » d’Abdoulaye Wade. Ce mouvement a inspiré «Le Balai citoyen» au Burkina, où les titres musicaux des porte-parole comme Smockey et Sam’K le Jah, seront repris comme mot d’ordre populaire lors de la révolution de 2014.
Sont nés ensuite d’autres mouvements comme «Filimbi» et «Lucha» en RD Congo, «Ras le bol» au Congo et bien d’autres. Au Mali, la plateforme «Antè Abana», rassemblant artistes et politiques, a fait avorter le projet de révision constitutionnelle du président Keita. Le rappeur Master Soumy est l’un de ses fondateurs. « J’ai écrit un titre, Touche pas à ma constitution, confie-t-il. Notre arme de guerre est d’éveiller les consciences. »
Dakar et Ouagadougou mais aussi Paris et Bruxelles sont devenus des bases de repli pour les artistes et activistes pourchassés par les autocrates. Killa-Ace, rappeur gambien, est exilé dans la capitale sénégalaise depuis 2015. Aidé par les activistes de «Y’en a marre», il y a organisé la mobilisation pour le départ de Yahya Jammeh, en 2017.