Siné Mensuel N°76 juin 2018 – Maxime Carsel –
Près de Rouen, le plus grand centre de triage d’Europe n’est plus qu’un champ de ruines où s’amoncellent des centaines de carcasses de trains à l’abandon. Pourtant, des hommes et de femmes continuent d’être employés sur ce site où plus rien ne fonctionne. En attendant qu’ils craquent ?
Youtubeurs et autres vidéastes 2.0 s’en donnent à cœur joie pour nous montrer une autre facette du monde actuel. Quand on regarde la vidéo de Mamytwink qui visite les lieux abandonnés, déambulant dans un cimetière de trains (vidéo ci-dessous), on se rend compte du gâchis monumental en cours. A Sotteville-lès-Rouen, ce qui était le plus grand centre de triage de trains d’Europe abrite aujourd’hui 400 carcasses rouillées. Tout est dans son jus, câbles sectionnés, transformateurs subtilisés, huiles suintantes et couches d’amiante éventrées , il ne reste plus grand-chose du fier et rutilant atelier de Quatre-Mares de Sotteville.
Gilles Chuette, représentant CGT du site, parle sans acrimonie de l’abandon pur et simple d’un fret pourtant prometteur : « Cette fameuse dette dont on nous rebat les oreilles [58,8 milliards d’euros, NDLR] est apparue sous le gouvernement Pompidou… » Près de vingt-cinq ans plus tard, en 1997, pour éponger (déjà) la dette, l’État extrait le réseau de l’entité SNCF et crée Réseau Ferré de France (RFF). En cadeau, RFF hérite de la douloureuse dette. De son côté, la SNCF, libérée du réseau, s’occupera exclusivement du transport de voyageurs. Dès lors, pour emprunter les rails, chaque entreprise privée de transport devait payer un droit de péage sur les lignes RFF.
« Un prix exorbitant, nous confie Gilles, donc un choix politique. » Rapidement, les entreprises ont préféré les camions, plus flexibles, allant directement sur les lieux de dépôts et surtout moins chers. Et voilà comment le site de Sotteville, qui employait 1 000 personnes, a réduit ses effectifs de plus de moitié n trente ans. Mais que font ces employés sur un site fantôme ? « Rien. Ces hommes et ces femmes sont inscrits à l’Espace initiative mobilité (EIM), un sas vers le chômage, en quelque sorte. On les placardise, on attend qu’ils craquent. Pourquoi maintenir le site ouvert ? Je n’en sais rien. C’est un mystère. « Si socialement c’est un massacre, écologiquement c’est une gabegie déconcertante : la capacité de fret des trains croupissant à Sotteville représente l’équivalent de 30 000 camions par jour. Or le transport par camions a éjecté dans l’atmosphère 6 milliards de tonnes de CO2 en 2014, soit 95 % du transport routier. A volume de carburant égal, un camion parcourt 58 kilomètres et un train 111 kilomètres, soit deux fois plus. A noter qu’aucun mort n’est à déplorer avec le fret ferroviaire ces quarante dernières années.
Résumons : le transport de marchandises par rail est plus propre, plus sûr et moins cher si l’État veut bien y jouer un rôle prépondérant. Petit détail croustillant : Geodis, le plus gros transporteur routier d’Europe, appartient à la SNCF. Bon, rassurez-vous, le gouvernement à récemment promis d’investir dans le réseau en lançant un plan de relance pour le fret. « Ne vous trompez pas, prévient Gilles Chuette, il s’agit de filialisation, donc de l’arrivée de concurrences. Ensuite, dans la multitude d’entreprises privées, l’objectif sera de laisser pourrir la branche publique et de la laisser mourir lentement. Comme la Sernam; vous vous souvenez de cette société de transport de bagages et de colis ? Elle est morte en silence. Ils vont faire pareil. »
Quand on se rappelle que l’un des slogans de RFF était : « Nous avons de grands projets pour vous« …