Élections européennes – Macron : le progressisme, c’est moi !

Charlie Hebdo – 05/09/2018 –
Jean-Yves Camus – Macron a raison de relever le gant lancé par l’italien Salvini et le Hongrois Orban : deux conceptions de l’Europe s’affrontent : société ouverte contre société fermée. Mais le choix qui nous sera donné en mai prochain est-il vraiment binaire ? 
La campagne en vue des prochaines élections européennes sera clivante. Populistes contre progressistes, comme l’annonce le président de la République. Mais avant tout, monde globalisé contre identités nationales, et société multiculturelle contre homogénéité des peuples. Tels sont les thèmes d’un scrutin qui s’annonce être un référendum à l’échelle de l’Union européenne, et qui sera précédé par plusieurs élections nationales et régionales (le 9 septembre en Suède; le 14 octobre en Bavière,  plus tard au plan local en Belgique et en Pologne), débouchant sans doute sur d’autres percées ou confirmations de l’impact des droites libérales.
Clairement désigné par le Premier ministre hongrois et le ministre de l’Intérieur italien comme l’adversaire idéologique principal, stupidement vilipendé par un obscur député français Les Républicains qui l’a nommé « président Rotschild » (à propos, le parti d’Orban est toujours membre du Parti populaire européen, comme LR), Emmanuel Macron a raison de se poser en chef de file des adversaires du populisme de droite. Il est d’ailleurs en Europe le seul à pouvoir le faire, tant la social-démocratie semble en fin de course, et la droite conservatrice destinée, par myopie ou complaisance, à imiter platement, et plutôt mal, le discours identitaire de l’extrême droite.  Il existe évidemment un troisième choix, celui d ela gauche radicale. Mais dans l’état actuel des forces politiques, ce n’est pas faire injure à la France Insoumise, Podemos, Syriza et Die Linke d’écrire qu’ils n’ont pas (encore ?) une audience assez large pour être l’alternative globale, à l’échelle des 28 pays de l’Union, au vote populiste anti-immigration.  
Cela étant, Emmanuel Macron est-il la figure de proue du camp « progressiste » ? Oui, si on entend par là qu’il est attaché au libéralisme sociétal et à la société ouverte, celle qui a pour credo la primauté des droits individuels telle que peut la concevoir l’honnête homme de la culture classique, héritier des Lumières. Ses partisans ajouterons que son modèle social, la « flexisécurité » danoise, est le moins mauvais de tous, dans la mesure où il sauvegarde des filets de protection sociale qui garantissent contre le darwinisme économique absolu des ultralibéraux. ses adversaires rétorquerons qu’il s’agit d’un recul par rapport aux acquis de la protection sociale française entérinés, de haute lutte, en 1945. Les plus perspicaces pourraient ajouter que le modèle social français est aussi le produit du catholicisme social, parce que perdure dans la République un fond culturel catholique qui se heurte de plein fouet au luthéranisme dont Macron a fait l’éloge à Copenhague. Sans compter que la flexibilité danoise a un prix : le compromis historique de la droite, des sociaux-démocrates et des libéraux avec le populisme anti-immigration incarné par le Parti du peuple, qui a monnayé son soutien sans participation au gouvernement minoritaire conservateur en faisant adopter la législation la plus restrictive d’Europe occidentale sur l’accueil des réfugiés et des migrants.
Le défi, pour Emmanuel Macron, va être de concilier son constat, juste, que l’identité des peuples se réveille partout, avec un agenda « progressiste ». Rien qu le concept, évoqué par lui dans son discours à la conférence des ambassadeurs, de la « psyché profonde » des peuples, qui rappelle fort « l’âme » que détectait chez eux Gustave Lebon, mérite une explication de texte. Puis, il lui faudra entrer dans le dur. Dire qui peut venir en Europe, comment et à quelles conditions. Qui est réfugié et qui ne l’est pas. Qui peut devenir français et qui ne le peux pas, ce que la République laïque tolère et ce avec quoi elle refuse de s’accommoder. Cela s’appelle des choix binaires. Avec des propositions progressistes ? nous verrons.

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