Géopolitique – La Chine dans tous nos états

« L’image bienveillante d’une Chine se posant en chantre du multilatéralisme a fait long feu »
Dans sa chronique, Sylvie Kauffmann, éditorialiste au « Monde », observe comment Pékin monte en puissance avec une précision et une rapidité qui inquiètent.
LE MONDE | 05.09.2018 à 11h32 | Par Sylvie Kauffmann
Chronique. Les plus grandes manœuvres militaires jamais organisées depuis près de quatre décennies, Vostok 2018, vont se dérouler du 11 au 15 septembre dans l’Extrême-Orient russe, avec la participation de quelque 300 000 soldats russes. L’un des objectifs du précédent exercice Vostok, en 2010, était de donner à la Chine une idée de la puissance militaire de la Russie, au cas où l’empire du Milieu aurait eu des velléités expansionnistes.
Pour les généraux à Moscou, observaient à l’époque les experts militaires, la Chine était « la menace dont on ne disait pas le nom ». Huit ans plus tard, Moscou voit Pékin d’un autre œil : cette fois-ci, 3 200 soldats et trente avions chinois participeront aux manœuvres russes. La Chine est passée du statut de menace à celui d’alliée potentielle.
Il n’y a pas qu’à Moscou que le regard sur la Chine a changé. A Paris, dans son discours devant les ambassadeurs, le 27 août, le président Emmanuel Macron a voulu se montrer froidement lucide sur la Chine. Non sans un brin d’admiration : les « nouvelles routes de la soie » constituent, à ses yeux, « l’un des concepts géopolitiques les plus importants des dernières décennies » ; pour autant, il ne faut « céder à aucune fascination coupable ou court-termiste : c’est une vision de la mondialisation hégémonique ».
L’image bienveillante du président Xi Jinping, profitant, en janvier 2017, du choc de l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche pour se poser en chantre du multilatéralisme, a fait long feu. Le monde, depuis, a ouvert les yeux : multilatéralisme, sans doute, mais avec des caractéristiques chinoises, selon l’expression consacrée au parti.
Les affaires sont les affaires
L’une de ces caractéristiques est la générosité que permet un carnet de chèques abondamment approvisionnés. Les Etats africains, dont les dirigeants viennent d’être reçus pour un sommet sino-africain à Pékin, en savent quelque chose..
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le président Xi leur a promis une enveloppe de 60 milliards de dollars (52 milliards d’euros) supplémentaires pour le développement de l’Afrique. Pour tenter de parer aux accusations selon lesquelles les lignes de crédit chinoises creusent encore la dette des pays africains, 15 de ces 60 milliards de dollars consisteront en dons et prêts sans intérêt, a assuré Pékin.
Allez rivaliser avec ça. Le milliard d’euros supplémentaire alloué par M. Macron à l’Agence française de développement paraît bien maigre en comparaison. Il faut le placer, bien sûr, dans le contexte de la très conséquente aide de l’Union européenne (UE), premier bailleur (55 %) d’aide publique au développement dans le monde.
Mais les Chinois ont un autre argument, qui ne laisse pas insensible dans de nombreux palais présidentiels : ils ne posent pas de conditions sur la gouvernance, ne s’embarrassent pas de contreparties politiques encombrantes. Les droits humains, l’Etat de droit, les pratiques démocratiques, tout ça fait partie d’un domaine séparé. Les affaires sont les affaires.
La Syrie, par exemple. Vladimir Poutine, devenu maître des cartes, a un scénario assez cohérent pour ce pays dévasté par sept ans de guerre : une fois la dernière poche de résistance, Idlib, maîtrisée, viendra le temps de la reconstruction. Et qui mieux que les Européens pourraient la financer et s’y atteler ? « Erreur funeste », fulmine Emmanuel Macron ! Pas question de rebâtir la Syrie de Bachar Al-Assad sans que les Syriens n’aient eu la possibilité de choisir leurs dirigeants. L’UE, donc, exige au moins un schéma de transition politique. La Chine, elle, ne dit rien. Tout le monde sait que si la pression européenne échoue, les entreprises chinoises seront là pour reconstruire – avec de gros investissements et sans transition politique.
Des barrières commencent à s’ériger
La Chine ne dit rien mais s’active. Aux Nations unies (ONU), où elle détient l’un des cinq sièges permanents au Conseil de sécurité, elle monte en puissance avec une précision et une rapidité qui sidèrent les observateurs les plus avisés. Son nouvel ambassadeur, Ma Zhaoxu, arrivé en janvier, impressionne par sa compétence. Au moment où les Etats-Unis de Trump se détournent des organisations multilatérales, Pékin y déploie un personnel de qualité et y augmente ses contributions volontaires.
Au Conseil de sécurité, relève un diplomate européen, « le théâtre reste russo-américain, mais la réalité est déjà sino-russe ». Et de plus en plus, le rapport au sein de ce tandem qui monte tourne à l’avantage de Pékin, qui s’émancipe progressivement de Moscou. Désormais premier fournisseur de casques bleus, la Chine a mis 8 000 hommes à la disposition du département de maintien de la paix, dont elle choisit les zones de déploiement en fonction de ses intérêts – ainsi, au sud du Soudan, non loin de Djibouti, où elle a inauguré, il y a un an, sa première base militaire à l’étranger.
La stratégie des « nouvelles routes de la soie » fait couvrir à la Chine la moitié de la planète, jusqu’au bout de l’Europe occidentale. Les routes de la soie du XXIe siècle ne sont pas seulement terrestres et maritimes, elles sont aussi numériques : Alibaba, le géant chinois du commerce sur Internet, est aujourd’hui en négociations avancées pour former une joint-venture avec son équivalent russe, Mail.ru, avec la bénédiction du pouvoir à Moscou, puisque l’opération implique la participation du fonds souverain russe RDIF.
Rien d’étonnant, face à ce dynamisme, que des barrières commencent à s’ériger. Bien tardivement, l’UE a entrepris de protéger ses secteurs stratégiques. Mais c’est de Malaisie qu’est venue la riposte la plus cinglante : à peine revenu aux affaires, le premier ministre, Mahathir Mohamad, 93 ans, a bloqué 22 milliards de dollars de projets chinois, criant au néocolonialisme. Après le Pakistan et la Birmanie, c’est de nouveau un pays asiatique qui rue dans les brancards. Le risque hégémonique, pour eux, est bien réel.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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