Si les handicaps des personnes autistes sont manifestes, la révélation de leurs talents est récente. Plusieurs découvertes devraient inspirer la prise en charge éducative.
LE MONDE | 02.10.2018 | Par Florence Rosier
Adam (le prénom a été changé) à 9 ans. Dès la maternelle, sa scolarisation a été très compliquée. Ne parlant pas, il présente de forts troubles du comportement. Mais dès la petite section, son instituteur décèle chez lui des talents « incroyables ». Au fil du temps, l’enfant développe la capacité de lire et d’écrire en trois langues : le français, l’arabe et l’anglais. Mais reste incapable de demander de l’eau s’il a soif, par exemple.
Aujourd’hui encore, « on voit qu’Adam est complètement envahi par son monde intérieur. Par exemple, il trace dans l’air des tas de choses avec son doigt », témoigne Isabelle Rolland, présidente d’Autistes sans frontières (ASF), qui suit l’enfant dans le Val-d’Oise.
Vers l’âge de 6 ans, après une longue errance médicale, Adam reçoit un diagnostic d’autisme de haut niveau (mais qui n’est pas un syndrome d’Asperger). L’école souhaite l’orienter vers une institution spécialisée. Ses parents se tournent vers ASF : un accompagnement est mis en place. Adam est scolarisé à mi-temps avec l’aide d’une auxiliaire de vie scolaire (AVS) formée à l’autisme. Il est aussi suivi par un orthophoniste et une psychomotricienne. Un éducateur spécialisé se rend à son domicile pour guider les parents. Cet accompagnement est financé pour moitié par les aides au handicap que reçoivent les parents, pour moitié par les fonds privés recueillis par ASF.
Le cerveau autistique intègre simultanément tous les détails sensoriels, il les mémorise d’une façon extrêmement précise et durable
Adam est aujourd’hui en CE1. « Ses compétences en maths sont celles d’un enfant de CM1 ou CM2. Mais sans l’AVS, il ne ferait sans doute rien. Le langage oral reste très compliqué », résume Isabelle Rolland. ASF milite pour une meilleure intégration scolaire de ces enfants. « Leurs scolarités se passent globalement bien. Tous ne pourront pas entrer au collège. Mais nous espérons qu’Adam le pourra. »
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Les intelligences atypiques nous fascinent. Entre capacités hors normes – que souvent nous ne savons pas voir – et déficits majeurs, elles posent une question troublante. Et si l’inhabileté sociale coulait de la même eau cérébrale que certaines compétences singulières ? Si le cliché du « savant farfelu », à l’extrême, était validé par les neurosciences cognitives ?
Une fameuse galerie de génies illustre ce cliché. Alan Turing, père de l’informatique moderne, Charles Darwin, phénoménal créateur de la théorie de l’évolution, Grigori Perelman, mathématicien russe (Médaille Fields 2006), ou encore le pianiste Glenn Gould… Autant de pionniers solitaires, figures emblématiques de l’autisme de haut niveau. On discute aussi des cas de Newton, Champollion, Einstein… et aujourd’hui de Mark Zuckerberg.
Hétérogénéité de ces troubles
Certains n’ont vu leur génie reconnu qu’après leur mort, après avoir subi la calomnie et la stigmatisation. Trop visionnaires, iconoclastes, faisant valser les dogmes qui berçaient leurs contemporains, sans réparer cette audace par des ronds de jambe.
« La recherche est un vivier d’intelligences atypiques, capables d’emmagasiner un nombre incalculable d’infos sur un sujet donné », glisse Séverine Leduc, psychologue libérale spécialisée dans la prise en charge de l’autisme, à Paris. Elle cosigne avec le psychiatre David Gourion un passionnant ouvrage, Eloge des intelligences atypiques (Odile Jacob, 292 pages, 21,90 euros).
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Peut-on cerner l’intelligence autistique ? Première difficulté : « Il n’y a pas de “gold standard” [test de référence] pour le diagnostic d’autisme », rappelle le professeur Laurent Mottron, psychiatre-chercheur à l’université de Montréal (Canada). En 2013, le manuel diagnostique américain des troubles mentaux (DSM-5) a regroupé les troubles du spectre autistique (TSA) en une même entité, avec un noyau dur de symptômes, présents dès le plus jeune âge. Il y a d’abord « des déficits persistants dans la communication et les interactions sociales » : manque de réciprocité socio-émotionnelle, incapacité de tenir une conversation, partage réduit d’intérêts, d’émotions ou d’affects, difficulté à fixer le regard d’autrui, à se faire des amis…
Et il y a aussi « des modes restreints et répétitifs de comportements, d’intérêts ou d’activités » : stéréotypies motrices, écholalie (le fait de répéter une phrase entendue), rituels verbaux ou non verbaux, « intérêts très restreints et circonscrits, anormaux dans leur intensité ou leur orientation » (pour un personnage historique, des horaires de trains)… Autre critère-clé, « une hyper- ou une hypo-réactivité à des entrées sensorielles » : indifférence apparente à la douleur, réaction négative à des sons ou à des textures spécifiques, hypersensibilité tactile, fascination visuelle pour des mouvements…
Première difficulté : l’hétérogénéité de ces troubles. Le néophyte s’étonne : pourquoi regrouper, au sein d’une même famille, les cas de génies certes « bizarres » mais d’une intelligence hors normes et ceux de personnes non verbales qui restent, leur vie durant, très dépendantes d’une aide extérieure ?
« Des chercheurs doctorants, très intelligents et typiquement autistes, expliquent qu’ils retrouvent en eux des points communs avec des autistes sans langage oral : des problèmes de sensorialité, un besoin d’isolement, des intérêts forts et restreints », témoigne le professeur Bruno Falissard, pédopsychiatre à la Maison de Solenn (Inserm, hôpital Cochin, Paris).
Ignorance profonde de ce qu’est l’autisme