Faudra-t-il changer nos habitudes de transport ?

Biocontact – septembre 2018 – Anne-marie Ghémard –
La politique du tout-voiture a façonné nos villes et nos territoires. Fort émetteur de CO2, le secteur des transports étudie de nouvelles motorisations, moins polluantes : transports en commun, covoiturage, véhicules hybrides et électriques… Mais aucune solution technique n’est parfaite. Alors, en attendant de tous enfourcher notre vélo, comment réduire nos besoins en mobilité ?
En Suisse, 70 % des camions traversent les Alpes sur des trains : ce pays taxe fortement les poids lourds sur les routes.
De plus en plus vite, de plus en plus loin, la mobilité ne cesse de se déployer. Pour avoir le choix de ses études, de sa formation, de son travail, on accepte de parcourir des distances de plus en plus grandes. Les transports bon marché permettent aussi l’explosion des voyages touristiques comme la consommation de produits exotiques. Cette liberté a néanmoins des revers quand les déplacements imposés occasionnent fatigue et temps perdu. Mais surtout les conséquences sont dramatiques pour l’environnement, la santé et la société. Les innovations techniques résoudront elles ces problèmes ? Quelles innovations sont réellement prometteuses ? Et en fin de compte, faut-il changer de comportement ?
Transports : de lourds impacts
Les transports en France sont responsables de 38 % des émissions de CO2, causées à 95 % par le transport routier. Ces émissions continuent à augmenter alors qu’elles diminuent dans tous les autres secteurs (industrie, habitations, agriculture…). Le CO2 ne pollue pas l’air mais est responsable du changement climatique.
Concernant la pollution de l’air, le transport routier est le mode le plus émetteur de polluants (entre 75 et 100 % des émissions pour les oxydes d’azote, le cuivre, le zinc et le plomb), tous secteurs d’activité confondus. La pollution de l’air occasionne chaque année 48 000 morts en France et coûte 100 milliards. Nos villes et notre société ont été transformées par l’automobile. A Paris, 50 % de l’espace public est consacré à la circulation et au stationnement des voitures qui n’assurent que 13 % des déplacements. Le bruit est la première nuisance mentionnée par les habitants suivi par le temps perdu dans les embouteillages. On peut aussi s’interroger sur le rôle de la voiture dans la montée de l’individualisme et constater les inégalités face à la mobilité. En dehors des centres des grandes villes, ceux qui n’ont pas de véhicule personnel, ou qui ne peuvent pas conduire, sont trop souvent assignés à résidence faute de moyens de transport.
L’usage de la voiture cause aussi des problèmes de santé en raison des accidents (3 500 morts par an, 30  000 blessés hospitalisés dont un trop grand nombre resteront handicapés) et induit des maladies liées à la sédentarité (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires…). Les transports coûtent cher (400 milliards d’euros en 2017, soit 17,5 % du PIB) d’abord aux ménages (170 milliards) mais aussi aux entreprises et aux pouvoirs publics. Les 44 millions de tonnes de pétrole importés déséquilibrent la balance des paiements.
Pourquoi notre société accepte-t-elle autant de nuisances ? Pourquoi autant de déplacements  ? Parce que depuis le siècle dernier l’aménagement du territoire a découpé nos espaces de vie entre zones commerciales, zones industrielles et zones d’habitation sans prévoir les pistes cyclables ou les transports en commun nécessaires pour les relier. La ville a été aménagée pour et par la voiture. Et ça continue. Les quinze plus grandes métropoles ont accueilli les trois quarts des emplois créés depuis 2007. Toutes connaissent une pression immobilière telle qu’elle contraint leur population à vivre toujours plus loin du centre, créant ainsi de l’étalement urbain et des besoins de déplacement. Quand les routes sont saturées, on les élargit pour supprimer les bouchons, amenant toujours plus de voitures.
La voiture est si simple à utiliser, si pratique qu’il est bien difficile de s’en passer. Néanmoins il faut trouver des solutions, notamment pour supprimer les émissions de CO2 avant 2050. En France, les voitures à moteur thermique ne seront plus commercialisées en 2040. Par quoi les remplacer ?
Les nouvelles motorisations
Les voitures hybrides constituent un net progrès. Elles consomment moins de pétrole grâce à leur moteur électrique mais, comme elles utilisent aussi leur moteur thermique, cela ne sera pas suffisant en 2040. Les voitures au gaz naturel (GNV) ne polluent pas l’air mais émettent du CO2. Il faudrait que le GNV utilisé soit uniquement d’origine végétale pour que leur bilan carbone soit satisfaisant. Mais alors, la fabrication du gaz viendrait en concurrence avec les cultures vivrières dont la planète a besoin. Equation insoluble !
Les voitures électriques sont présentées comme la solution. Ni moteur polluant, ni émis sion de CO2 en roulant. Pourquoi leurs ventes stagnent-elles à moins de 1,5 % du total des immatriculations malgré les aides à l’achat apportées par l’État ? Leur autonomie est trop réduite. Une voiture qui ne peut pas rouler plus de 200 km sans se recharger pendant plusieurs heures ne peut servir que pour de courts trajets. Pour augmenter leur autonomie, il faudrait augmenter le nombre de batteries, donc le poids et le prix du véhicule. De plus, la fabrication des voitures électriques émet beaucoup de CO2. Il faut avoir roulé plus de 60 000 km pour qu’une voiture électrique émette moins de CO2 qu’une voiture thermique. La recherche doit encore progresser. Les voitures à hydrogène n’émettent ni polluant ni CO2 à l’usage. Serait-ce la solution ? Les recherches portent actuellement sur l’amélioration de la production d’hydrogène qui est encore trop coûteux en énergie.

Aucune de ces motorisations ne résout le problème des polluants de l’air produits par les pneus et les freins ni la congestion des villes. D’autres innovations promises peuvent faire rêver pour pallier la congestion des villes. L’Hyperloop promet de nous faire voyager en capsule à 1 200 km/h dans des tuyaux de 3 mètres de diamètre maintenus à très basse pression et posés sur des pylônes « renforcés pour résister aux terroristes et aux tremblements de terre ». La Fnaut (Fédération nationale des associations d’usagers des transports), toujours à l’affût des innovations, a étudié le projet et démontré ses limites techniques et économiques. L’Hyperloop, dont les tuyaux doivent être rectilignes, sera peut-être un jour expérimenté dans des pays plats et peu peuplés mais pas en Europe.
Des expérimentations de véhicules autonomes ont démarré. Des minibus circulent dans certaines villes sur des parcours protégés et à vitesse très réduite (maxi 10 km/h). Google et d’autres nous promettent une révolution. Néanmoins, les dernières études montrent que les voitures sont encore très loin d’être 100 % autonomes. Quant aux voitures volantes qui permettraient de résoudre la congestion des villes, certains y pensent mais ce n’est pas pour demain.
Les voitures ne sont pas les seuls véhicules qui polluent et encombrent notre environnement. Les camions et véhicules utilitaires légers (VUL) sont responsables de 40 % des émissions de CO2 dues aux transports. La solution technique préférée des transporteurs est le GNV dont on a vu les limites pour les voitures. D’autres proposent d’électrifier les autoroutes. Des trains de camions circuleraient alimentés par le sol ou par des caténaires. Les problèmes techniques que cela pose seront peut-être un jour résolus même si les voies électrifiées existent déjà : cela s’appelle des voies ferrées où circulent des trains. On peut y faire monter des camions et c’est ce que fait la Suisse où 70 % des camions traversent les Alpes sur des trains car ce pays taxe fortement les poids lourds sur les routes. En France, la part modale du transport par train s’est écroulée à moins de 10 % faute de volonté politique après l’abandon de l’écotaxe.
Un autre moyen de transport augmente chaque année : l’aérien. Les compagnies à bas coût ont fait baisser les prix et chacun peut maintenant partir en vacances à l’autre bout du monde. Il faut néanmoins savoir que ces prix sont bas parce que l’avion ne paie pas ses coûts environnementaux. En effet le kérosène est détaxé. L’avion est le moyen de transport le plus émetteur de CO2 par passager et par km, 2 fois plus que la voiture individuelle et 40 fois plus que le TGV.
Alors que faire si l’on est soucieux de l’avenir du climat et de la qualité de l’air ? Quelles innovations encourager ?
Quel que soit le lieu d’habitation, ville ou campagne, 50 % des déplacements font moins de 5 km, distance adaptée au vélo. Selon Graziano Delrio, ex-ministre italien des Infrastructures et des Transports, « Si on peut inciter à l’usage de la bicyclette sur les cinq premiers kilomètres, on peut réduire le trafic dans les villes de 40 % : ce qu’aucune autre technologie ne peut faire ». Le vélo ne pollue pas, est bon pour la santé, le porte-monnaie, le climat, l’économie. Si on craint les côtes, le vélo à assistance électrique (VAE) les aplanit tout en restant un moyen de déplacement actif puisqu’il faut pédaler pour avancer. L’effort est tempéré par l’assistance et il est bien agréable de ne pas arriver en sueur. Néanmoins, les aménagements cyclables sont discontinus et insuffisants. La Fédération des usagers de la bicyclette (FUB) demande au Gouvernement la mise en place d’un plan vélo sincère, structuré et financé, pour sécuriser les cyclistes et faire de nouveaux adeptes.
Les gyropodes et autres engins de déplacement personnel permettent certes de se déplacer plus rapidement qu’à pied mais dispensent de l’effort physique indispensable pour rester en bonne santé. Mieux vaut marcher à pied, sans assistance, chausser des rollers ou pousser une trottinette.
Le tramway nantais
Pour des déplacements plus importants, les transports en commun, en particulier ferroviaires, sont les moins polluants mais ils imposent d’organiser son déplacement à l’avance. Heureusement, de nouvelles applis apparaissent qui permettent d’organiser facilement son trajet de porte à porte en enchaînant les modes : vélo personnel puis TER puis vélo en libre-service ou tramway par exemple. Dans les grandes villes, les transports en commun se sont améliorés mais sont souvent victimes de leur succès avec une fréquentation qui dépasse leur capacité aux heures de pointe. Ils nécessitent de grands investissements. Le métro automatique du Grand Paris Express va changer la vie des habitants. En Ile-de-France, chaque année, 6 milliards d’euros sont investis dans les infrastructures de transport ferroviaire, soit 500 euros par habitant. En Province, les investissements sont bien moindres, 95 euros en Auvergne-Rhône-Alpes par exemple, soit cinq fois moins.
Le covoiturage de longue distance s’est beaucoup développé et mieux vaut évidemment être plusieurs dans une voiture pour diminuer son bilan carbone.
Pour les déplacements quotidiens domicile travail ou étude, la règle est encore la voiture individuelle, avec un taux d’occupation inférieur à 1,1 personne. Toutes les formes de partage, de mutualisation permettent de diminuer le nombre de voitures.
Encore mieux, quand c’est possible, éviter de se déplacer au quotidien, soit parce qu’on a choisi un domicile et un lieu de travail ou d’études proches, soit en pratiquant le télétravail. Pour diminuer le nombre de camions, le meilleur levier est de privilégier l’économie circulaire, réparer au lieu de jeter, acheter d’occasion, consommer local et de saison. En résumé, pour protéger l’environnement et notre santé, il est plus avisé de limiter nos déplacements. Privilégier l’économie locale, les modes de transport actifs et le train sont aujourd’hui trois axes sur lesquels à la fois individus et politiques ont un rôle à jouer ■
Fnaut (Fédération nationale des associations d’ usagers de transport), 32, rue Raymond-Losserand 75014 Paris Tél. : 01.43.35.02.83 Site : www.fnaut.fr

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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