Les nouveaux programmes d’économie des Lycées rédigés par le gouvernement ?

Siné Mensuel – décembre 2018 – Martial Cavatz –
Avec la mise en place du nouveau bac, les profs de sciences économiques et sociales s’alarment du changement des programmes, qui feront la part belle au marché, sans autre vision de l’économie.
Le nouveau bac aura lieu en 2021, soit un an avant l’élection présidentielle. Avant cela, le gouvernement souhaite aller vite dans la réforme du Lycée prévue à la rentrée 2019, afin d’éviter toute réflexion, consultation, voire opposition à une vision imposée d’en haut au mépris des acteurs de terrain. Les projets de programmes de sciences économiques et sociales (SES) de seconde et de première montrent aussi la volonté d’imposer un point de vue idéologique.
Ils font la part belle à une vision bien particulière de la société, là où les enseignants défendaient un certain pluralisme. Erwan Le Nader, président le l’Association des professeurs de sciences économiques et sociales, s’étonne : « Il y a un énorme déséquilibre entre la microéconomie et la macroéconomie (*). Donc l’intervention de l’État est minorée et on privilégie une étude du marché dans sa version néoclassique. Nous ne sommes pas pas gênés de l’aborder dans sa version néoclassique mais ce qui est gênant c’est que les autres approches ne sont pas abordées. » Il note aussi que « le marché n’est envisagé que du point de vue économique. On perd ce qui fait la richesse des SES, à savoir le croisement entre les sciences sociales« . 
Cela revient à cloisonner les élèves dans une vision bien particulière du monde social. L’Association française d’économie politique (Afep) regroupant des économistes critiques, s’est inquiétée de l’abandon « d’une formation transdisciplinaire au profit d’une juxtaposition de modules monodisciplinaires présentés comme parfaitement homogènes, exempts de débats et disposant de fondements universels« . Il s’agit donc de reproduire les dogmes libéraux auxquels est attaché le gouvernement.  Erwan Le Nader remarque que « dans les programmes de seconde et première disparaissent les notions de chômage et de catégories sociales et professionnelles« . L’Association des sociologues enseignant-e-s du supérieur (Ases), dans un communiqué, indique que « ces catégorisations du monde social, en constante évolution, font partie intégrante de la réflexion sociologique depuis des décennies« .
Les programmes sont, en revanche, en adéquation avec les volontés de certains lobbys patronaux qui n’ont eu de cesse, depuis des années, par la voix de leurs différentes instances, d’attaquer les sciences économiques et sociales, accusées de dénigrer l’économie de marché. La composition du groupe d’experts en charge de présenter les projets de programmes semblait être un signe envoyé à ces groupes de pression. A sa tête se trouve l’économiste Philippe Aghion, professeur au Collège de France et soutien de Macron, mais surtout deux membres de l’Académie ds sciences morales et politiques. Cette dernière s’est illustrée par la production de rapports alarmistes recommandant d’orienter les programmes du secondaire sur le marché et l’étude de l’entreprise. Dans le comité de quinze experts où ne siègent que quatre enseignants du secondaire, il semble bien que certaines voix portent plus que d’autres. Rien d’étonnant, relève Erwan Le Nader : « Dans sa lettre au Conseil supérieur des programmes, le ministre Blanquer insiste sur la nécessité de privilégier la microéconomie et les maths…
L’inquiétude est d’autant plus grande que le processus devant conduire aux programmes définitifs est particulièrement rapide et loin d’être ouvert aux débat contradictoire.  Début novembre, ont été présentés les projets définitifs devant le Conseil supérieur des programmes. Les membres ont voté, alors qu’ils ne sont pas experts de la discipline, en découvrant le jour même les texte. Impossible pour eux de consulter des personnes plus qualifiées pour orienter leur vote en connaissance de cause. Erwan Le Nader  souligne que « la réforme est précipitée. Les enseignants n’auront qu’entre quinze jours et trois semaines pour se prononcer sur les programmes. C’est un temps trop court. » Précipitée, c’est le moins que l’on puisse dire; les programmes définitifs seront validés en janvier, les éditeurs n’auront que quelques mois pour préparer les nouveaux manuels, ce qui se ressentira nécessairement sur la qualité de ceux-ci.
* La macroéconomie est l’approche théorique qui étudie l’économie à travers les relations existantes entre les grands agrégats économiques, le revenu, l’investissement, la consommation, le taux de chômage, l’inflation, etc. La microéconomie est la branche de l’économie qui modélise le comportement des agents économiques et leurs interactions notamment sur les marchés.

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