Au Japon, un prince se veut grand défenseur de la laïcité

Le prince Akishino s’est ému du financement par l’Etat d’un rituel religieux accompagnant l’intronisation de son frère aîné, qui deviendra empereur en novembre 2019.
Le Monde 13/12/2018 Par Philippe Mesmer

Le prince Akishino, avec son épouse la princesse Kiko. Asahi Shimbun/Getty Images
Voilà une bien curieuse polémique, dont le Japon a le secret, et qui semble se jouer à front renversé. D’un côté, l’État, ou plus exactement le gouvernement nationaliste de Shinzo Abe, qui se montre toujours très attaché au culte shinto, incarné par l’empereur. De l’autre, un membre éminent de la famille impériale, le prince Akishino, qui défend une stricte préservation de la ligne qui sépare le public du religieux. Une délimitation soigneusement définie après la seconde guerre mondiale, où l’empereur avait mené son peuple à sa perte.
Tout a commencé le 30 novembre, lors d’une conférence du prince, à la faveur de son 53e anniversaire. Akishino est le fils cadet de l’empereur Akihito, qui a abdiqué en avril pour céder la place à son aîné, Naruhito. Depuis le VIIe siècle, chaque intronisation s’accompagne d’un rituel, le daijosai, lors duquel le nouvel empereur offre aux divinités du riz tout juste récolté. Il prie aussi, à cette occasion, pour le pays et les futures récoltes. Ce sont les conditions de financement de cette cérémonie, prévue en novembre 2019, qui font aujourd’hui débat.
Imposer moins de faste ?
Le prince Akishino, qui se retrouve désormais premier dans l’ordre de succession de Naruhito, se pose en strict défenseur de la Constitution nippone, qui établit la séparation du religieux et de l’État. « L’État et ses organes s’abstiendront de l’enseignement religieux ou de toutes autres activités religieuses », affirme ainsi l’article 20.
À ce titre, il regrette que l’État veuille directement financer le daijosai. Pour lui, il faudrait puiser dans les fonds alloués à la Maison impériale, même si cela imposerait moins de fastes. Il a déclaré avoir communiqué ses vues au chef de l’agence de la Maison impériale. Il l’avait déjà fait lors du précédent daijosai, organisé en 1990 après l’intronisation d’Akihito. « Il est regrettable que l’agence ne m’ait pas écouté », a déploré le prince.
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Les exégètes des questions impériales n’ont pas tardé à s’emparer du débat. À la chaîne publique NHK, le professeur Hidetsugu Yagi, de l’université Reitaku, a déclaré que le rituel revêtait certes un caractère religieux, mais qu’il constituait un rite important pour la succession impériale, elle-même inscrite dans la Constitution. Pour Isao Tokoro, expert de la culture juridique japonaise à l’université Sangyo, le prince aurait dû considérer que le rite exprime plus la culture impériale traditionnelle qu’un caractère religieux.
Une immixtion dans le domaine politique
Quoi qu’il en soit, le gouvernement a décidé de financer le “daijosai” de 2019, selon la même procédure qu’en 1990, en l’inscrivant au titre des « dépenses liées au Palais ». L’entourage du premier ministre a déploré l’intervention du prince, considérée comme une immixtion dans le domaine politique, normalement interdite à l’empereur. « Si ses remarques étaient assimilées à une critique de la décision du gouvernement, elles pourraient constituer une violation de la Constitution interdisant à l’empereur de participer à la vie politique », a déclaré un proche du chef de gouvernement au quotidien Mainichi, le rappelant à cet autre principe.
Les débats pourraient toutefois se poursuivre. Près de 120 personnes, notamment des chrétiens et des bouddhistes, prévoient d’engager une action auprès du tribunal de Tokyo pour tenter de bloquer le financement du daijosai par l’État. En 1990, la cérémonie avait coûté 2,2 milliards de yens (17 millions d’euros). Des poursuites avaient été engagées, interrogeant déjà sur la constitutionnalité du rituel. La plupart avaient été rejetées. En 1995, la Haute Cour d’Osaka avait toutefois reconnu l’existence de doutes sur une possible inconstitutionnalité du financement par les pouvoirs publics de rituels liés au culte shinto.

Philippe Mesmer (Tokyo, correspondance)

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