Antoine Compagnon tient la chaire de littérature française moderne et contemporaine au Collège de France. Il livre ici son regard sur l’œuvre de Michel Houellebecq alors que paraît « Sérotonine ».
Le Monde 03/01/2019 Par Antoine Compagnon
Antoine Compagnon, professeur au Collège de France, en 2014. ULF ANDERSEN / AURIMAGES / AFP
Depuis vingt ans, on lit Houellebecq pour savoir où on en est. Pas de meilleurs documents sur l’état présent de la société, de la littérature et de la langue françaises. Comme il s’informe de plus en plus sur Internet, c’est plus encyclopédique et moins à vif que les témoignages des grands reporters, tels Le Quai de Ouistreham ou En France, de Florence Aubenas (L’Olivier, 2010 et 2014), mais c’est aussi sensible au milieu et au moment, et tout aussi désespérant.
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Et c’est d’autant plus efficace que Houellebecq est facile à lire. Au début, ses livres rappelaient le naturalisme par leurs allées et venues entre la fiction et les morceaux didactiques empruntés aux sciences naturelles ou sociales. On n’avait pas besoin d’avoir rien lu depuis Zola, ou depuis les romans à thèse de Bourget, comme Proust, Sarraute ou Sollers, pour se sentir en terrain familier (sauf les bites et les chattes à tour de pages).
« Le nivellement du récit est voulu, le rabaissement de la langue fait partie du « business plan », les écarts de style sont calculés. Ils amplifient l’effet de sinistrose et d’anomie »