Rangez les gilets

Charlie Hebdo – 02 janvier 2019 – Gérard Biard –

Pour une fois, les médias sont unanimes. La mobilisation des « gilets jaunes » « marque le pas », « s’essouffle », est « en nette baisse », a « largement décru ». A chacun son expression consacrée, mais une même affirmation, presque incantatoire : le mouvement touche à sa fin ! Avec toutefois cette sensation sourde que, dans les faits, rien n’est moins sûr… Pour l’instant, seuls tiennent encore le pavé les plus motivés, les plus radicaux et les plus infréquentables. C’est d’ailleurs sur ceux-ci qu’on braque les projecteurs, comme pour dire aux français qui soutiennent toujours majoritairement le mouvement : il est temps que ça s’arrête.

Avec tous ces faiseurs de quenelles, ces complotistes fous furieux, ces dealers de fake news, ces bouffeurs de flics ultra-violents, ces casseurs compulsifs, ces séditieux fomenteurs de guerre civile, ces décapiteurs d’effigies du président de la république, ça va mal finir. Il y a déjà eu une dizaine de victimes, mais il s’agissait à chaque fois de morts accidentelles. N’attendons pas que les prochaines soient volontaires… De fait, à en juger par les arguments de certains « gilets » plus bruns que jaunes, on se dit qu’en effet ça pourrait mal finir.

Seulement voilà, la réalité est têtue. Il reste encore du monde sur les giratoires, aux péages d’autoroutes, dans les rues des grandes villes, défilant ou bloquant ici et là  pour des actions ponctuelles, se relayant la semaine et ne ratant aucun rendez-vous du week-end depuis le 17 novembre, revenant sitôt évacué, s’obstinant à se les geler, à paralyser la croissance, à faire peur aux touristes. Et visiblement, la prime de fin d’année, le mea culpa présidentiel, le « grand débat national », ils s’en foutent. Où plutôt, ils se disent qu’ils vont encore se faire avoir s’ils rentrent chez eux. Et ils gardent la place chaude pour les copains, qui reviendront, ils en sont sûrs.

A force d’intransigeance, de morgue, de répliques humiliantes et hautaines, associées à l’incompétence politique de ses « marcheurs », le seigneur Macron a fait sortir les dragon de son antre. Et pour l’instant, il se trouve bine dehors. Il a peut être rentré cul et corps à l’intérieur de la caverne,mais il garde le museau et les dents à l’extérieur, prêt à recracher tout le feu qui grésille dans ses entrailles. Oui, ça va repartir. C’est au fond ce que tout le monde pense confusément. D’où cette frénésie à trouver à tout prix un moyen de contenir et de canaliser ces foutus « gilets jaunes ».

On aimerait bien que les syndicats prennent le relais, fassent un cordon de sécurité, voire les fassent adhérer de force. On voudrait qu’ils désignent des chefs, et tant pis s’ils ont des sales gueules, on fera avec. S’ils pouvaient créer un parti, ce serait encore mieux, où à la rigueur se joindre à une formation déjà existante. Les communistes sont partants, Ruffin s’égosille d’impatience; à l’extrême droite, les bras sont tendus, et le Patriote Florian Philippot a déjà déposé la marque « Les Gilets Jaunes » en vue d’une liste aux européennes… Même Francis Lalanne leur chante la sérénade, s’ils veulent absolument avoir un porte-parole médiatico-ridicule. On est prêt a accepter n’importe quelle fantaisie de leur part, la plus inquiétante des récupérations, pourvu qu’ils soient quelque part, n’importe où, du moment que ce n’est pas partout à la fois.

Surtout, on aimerait tant que ce soit un simple mouvement social, que l’on peut apaiser en cédant à quelques revendications L’ennui, c’est que c’est sans doute un peu plus que ça…