A Argenton-sur-Creuse, un jeune pâtissier qui revient de loin

Chaque semaine, Frédéric Potet sillonne la France pour relater les petits et grands événements. Dans l’Indre, un jeune migrant malien fait des merveilles dans la pâtisserie la plus cotée du coin.
Le Monde 06/01/2019 Par Frédéric Potet

Yacouba Doucouré, 19 ans, réfugié malien, travaille à la Maison du Wladimir, à Argenton-sur-Creuse (Indre). FREDERIC POTET
A Argenton-sur-Creuse (Indre), la crise des migrants s’est invitée dans l’assiette des gourmets. Deux jeunes demandeurs d’asile originaires du Mali travaillent actuellement comme apprentis dans des pâtisseries de cette petite cité de 5 000 habitants. Le premier, Yacouba Doucouré, fait ses classes à La Maison du Wladimir, une ins­titution en ville, qui doit son nom à un gâteau praliné recouvert de sucre glace, rappelant les steppes enneigées de Russie. Le second, Lassana Touré, officie à la boulangerie-pâtisserie Martinelli, située vingt mètres plus loin sur la rue Gambetta. Elèves en alternance au CFA de Châteauroux, l’un et l’autre, âgés de 19 ans, s’activent dur en ce moment. Chocolats, bûches, entremets, galettes des rois, la période est la plus chargée de l’année chez les marchands de douceurs.
Des touffeurs subsahariennes à celles dégagées par un four à soles électrique installé dans une arrière-boutique du Bas-Berry, le chemin n’est pas évident. Yacouba Doucouré confie avoir eu de la « chance ». « Je n’ai pas vraiment rencontré d’obstacles », raconte ce fils de cultivateurs de ­Bamako ayant décidé de rejoindre l’Europe en 2014 alors qu’il avait 15 ans. Avec l’argent donné par son oncle, il se rend en Algérie puis en Libye en bus, avant de traverser la Méditerranée sur un bateau gonflable chargé d’une quarantaine de migrants. Une seule tentative suffira.
Le gâteau à la française sera son avenir
Recueilli en Sicile par une association, il rejoint Rome sept mois plus tard, puis gagne Paris. A la gare de Lyon, une passante, à qui il demande où il pourrait trouver une structure d’aide aux réfugiés, lui conseille d’aller tenter sa chance à Châteauroux. La dame lui paiera une partie du billet de train. Yacouba Doucouré débarque dans l’Indre où il ne connaît personne, dort dans le hall de la gare plusieurs nuits avant d’être pris en charge par le conseil départemental qui le reconnaîtra « mineur isolé étranger » en 2015. C’est dans la famille d’accueil où il est envoyé, à Thenay, qu’il rencontre Lassana Touré, qui démarre une formation de boulanger-pâtissier. Yacouba ignore tout des subtilités de la frangipane et de la crème chiboust, peu importe : le gâteau à la française sera son avenir.
« Sans relève, des trésors disparaîtront» Thierry Bernard, patron de La Maison du Wladimir
Son patron, Thierry Bernard, ne tarit pas d’éloges. Le responsable de La Maison du Wladimir n’a pas oublié la façon dont ce grand gaillard de 1,80 m l’a poussé du coude sur le plan de travail, le premier jour, pour reproduire le geste du façonnage à la main. « Dès qu’une connaissance est acquise, elle l’est pour de bon avec lui, il n’est pas nécessaire d’y revenir. Ça me change », se plaît à dire le chef pâtissier qui n’a pas toujours été à la fête avec ses arpètes. Il se souvient aussi des arrivées matutinales de son élève africain, à 5 h 30 : « J’ai dû l’engueuler pour qu’il arrive à 6 heures, comme tout le monde. Idem pour qu’il débauche à 13 heures alors qu’il voulait travailler l’après-midi. Ça aussi, on ne me l’avait jamais fait. »

Son patron, Thierry Bernard, ne tarit pas d’éloges : « Dès qu’une connaissance est acquise, elle l’est pour de bon avec lui. » FREDERIC POTET
Il reste entre dix et quinze ans de travail à Thierry Bernard et son épouse, Christiane, chargée de la vente, avant de prendre leur retraite. Trouver et former des jeunes dotés d’une volonté de fer est capital pour la pérennité de leur activité. « Nos campagnes se vident et nos commerces ferment, emportant avec eux tout un patrimoine gastronomique. Sans relève, des trésors disparaîtront », insiste le couple, qui se dit prêt à embaucher le jeune homme à la fin de ses études. En attente d’un renouvellement de son titre de séjour, ­Yacouba Doucouré a obtenu un véritable diplôme en décrochant son CAP de pâtissier en 2018. Il espère, d’ici à l’été, en obtenir un autre : en chocolaterie.
Frédéric Potet

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Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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