La survie des guépards menacée par la mode des félins de compagnie

Braconnés en Afrique, ils sont achetés par de riches habitants des pays du Golfe qui les exhibent sur les réseaux sociaux.
Le Monde Par Bruno Meyerfeld  19 janvier 2019

Une Koweïtienne, allongée dans son lit sous les couvertures, accompagnée d’un couple de guépards, le 30 janvier 2017. SEBASTIAN CASTELIER
Sur les photos, une femme est allongée dans son lit sous les couvertures, accompagnée d’un couple de guépards. Un homme tient nonchalamment son félin en laisse, joue avec lui sur son sofa ou dans son jardin. Un autre attache le véloce prédateur sur le siège passager de son 4 x 4, avant de l’emmener faire un peu d’exercice dans les dunes.
Ces clichés délirants proviennent tous des pays du Golfe. Aux Emirats, au Qatar, au Koweït, à Bahreïn ou en Arabie saoudite, des guépards capturés en Afrique sont utilisés illégalement comme animaux de compagnie, résultat d’un vaste trafic qui menace la survie de l’espèce.

Chaque année, selon des experts, autour de 300 félins seraient arrachés à la savane pour finir dans des appartements de Riyad ou d’Abou Dhabi – soit 1 200 à 1 500 guépards sur les cinq dernières années. « Ces chiffres peuvent sembler modestes, comparés aux dizaines de milliers d’éléphants abattus tous les ans, mais ils sont en réalité dramatiques », selon William Crosmary, directeur de programme pour Traffic, un réseau de surveillance du commerce de faune sauvage en Afrique de l’Est.
La population du félin, connu pour ses sprints à 120 km/h, s’est effondrée, passant de 100 000 individus au début du XXe siècle à seulement 7 100 aujourd’hui, avec une accélération brutale ces vingt dernières années. Autrefois présent du bassin du Congo jusqu’à l’est de l’Inde, il est maintenant confiné sur à peine 9 % de son territoire originel, essentiellement en Afrique australe et orientale, avec des groupes fragmentés ne comptant souvent plus que quelques dizaines d’individus.
Jusqu’à 15 000 dollars pour un guépard
« La route du guépard, on la connaît bien », enchaîne M. Crosmary. Les félins, braconnés dans la Corne de l’Afrique, dans le nord du Kenya et en Ethiopie, « traversent le golfe d’Aden dans des boutres vers le Yémen, avant d’être remis aux commerçants de la péninsule, qui transportent ensuite l’animal vers l’Arabie saoudite » ou le « redistribuent » chez les différents clients de la région, souvent par voie aérienne. « Le trafic passe par beaucoup de zones grises, en proie à la guerre ou à la famine », poursuit M. Crosmary. Autant d’endroits où un « gros chat » passe facilement inaperçu, et peut rapporter gros : jusqu’à 15 000 dollars (13 200 euros) pour un guépard vendu dans le Golfe.

Mais encore faut-il qu’il survive à la traversée : les ONG estiment que plus de la moitié voire les deux tiers des animaux meurent en route, faute de soins. Une fois à destination, l’hécatombe continue. Les guépards, retenus dans des maisons ou des appartements – parfois des salles de bains –, nourris de pâtée pour chat ou de sucreries, tombent vite malades et trépassent souvent en quelques mois ou en une poignée d’années.
« Un guépard prélevé dans la nature est un guépard mort », résume Patricia Tricorache, pionnière de la lutte contre le trafic au Fonds de conservation du guépard (Cheetah conservation fund, CCF) et auteure de nombreux rapports sur le sujet. Le plus récent, publié en septembre 2018, souligne le poids écrasant des réseaux sociaux dans le braconnage du félin : « Entre 2012 et 2017, j’ai recensé 1 367 guépards “offerts” à la vente dans le Golfe, soit l’équivalent de 20 % des guépards vivant à l’état sauvage », résume la chercheuse.
Plus des trois quarts des 906 annonces recensées ont été publiées sur le seul réseau Instagram, en majorité depuis l’Arabie saoudite. Nul ne se cache : les comptes sont publics. Sur ces plates-formes en ligne, les trafiquants postent sans crainte photos, vidéos et prix des guépards à vendre, mais aussi leur numéro de téléphone ou leur localisation. Parfois même leur nom et un selfie.
L’extermination d’une espèce par le « like »
Les acheteurs ne sont pas plus discrets, commentant les annonces et négociant les prix. Une fois livrée, la bête est aussi exhibée sans retenue sur ces mêmes réseaux. On pose fièrement avec son guépard et une voiture de sport ou un sac Louis Vuitton, en djellaba ou en manteau de… fourrure, sur fond de drapeau national ou de versets du Coran. Chic ou viriliste, pieuse ou patriotique, la mise en scène varie. Mais le but est le même : avoir le plus de « likes » et de commentaires.

Aux Emirats ou au Koweït, avoir un guépard est devenu tendance, et même populaire. La domestication du félin, pratiquée depuis des siècles dans le Golfe pour la chasse à la gazelle, n’est plus un luxe réservé à l’aristocratie. « Il n’est pas rare de voir un guépard se promener dans la rue ou sortir la tête par la vitre ouverte d’une voiture », explique un bon connaisseur du dossier travaillant dans la région. « C’est l’extermination d’une espèce par le “like”, se désole Patricia Tricorache. Tout ça pour une question de mode, d’ego et de statut social ! »
Le commerce du guépard, animal inscrit à l’annexe I de la Convention de Washington sur le commerce des espèces menacées (Cites), est pourtant interdit. Mais le sujet ne s’est imposé comme une priorité que tardivement, vers 2015. Depuis, la Cites a adopté des recommandations et a commencé l’élaboration d’un kit d’information à destination des douaniers. Sous la pression, plusieurs pays du Golfe ont durci leur législation. La loi la plus coercitive est entrée en vigueur début 2017 aux Emirats, punissant la possession d’animaux dits « dangereux » de 2 300 à 167 000 euros d’amende et jusqu’à six mois de prison.

Carte de la présence du guépard.
« Le guépard n’est plus un problème pour nous », soutient Shereefa Al-Salem, haute responsable à l’Autorité publique de l’environnement du Koweït. L’accès aux réseaux sociaux est désormais limité pour les trafiquants, et « avoir un guépard chez soi n’est plus quelque chose de populaire ».
On s’étonne, faisant remarquer qu’un simple coup d’œil sur les réseaux sociaux permet de dénicher des Koweïtiens propriétaires de félins. « Envoyez-moi les liens, je transmettrai à la justice », demande Mme Al-Salem, avant d’avouer ne « pas savoir » combien de guépards sont présents au Koweït ni si des condamnations ont déjà été prononcées pour possession illégale.
« Un système opaque »
Les lois sont-elles appliquées ? De l’aveu même des autorités, aucune confiscation de guépard n’a eu lieu depuis 2015 dans le Golfe. « Certains pays, comme les Emirats, sont devenus sensibles à leur réputation et font des efforts. Mais les autres ne sont pas très impliqués. L’Arabie saoudite, au cœur du trafic, a un système opaque et communique très peu d’informations. C’est une attitude très inquiétante », relève Colman O’Criodain, expert au Fonds mondial pour la nature.
A défaut, les efforts des ONG se concentrent aujourd’hui sur le Somaliland. Le pays, avec son grand port de Berbera, est considéré comme la plaque tournante du trafic. Là, plusieurs progrès ont été enregistrés : en 2018, une quinzaine de guépards ont été confisqués et deux trafiquants arrêtés, condamnés chacun à 300 dollars d’amende et trois ans de prison.
Mais tout cela reste embryonnaire. Le Somaliland, indépendant depuis 1991, non reconnu par la communauté internationale, est l’un des Etats les plus pauvres de la planète. Le pays ne dispose ni de vétérinaires ni d’infrastructures adaptées. Et plus de la moitié des guépards secourus des trafiquants par les ONG meurent encore dans les semaines suivantes.
La contrebande de guépards est un bon moyen de survie pour plusieurs clans locaux, très impliqués dans le trafic. « Les Somalis sont des pastoralistes, sans compassion pour la vie sauvage. Le guépard est encore vu comme un ennemi du troupeau », s’attriste Shukri Ismail Bandare, ministre de l’environnement du jeune Etat, grand comme la Grèce. D’ailleurs, « nos ressources sont limitées, ajoute-t-elle. Mon ministère a un budget de 300 000 dollars ». C’est à peu près le coût de construction d’un orphelinat pour guépards.

Le temps presse. « Le guépard pourrait disparaître de régions entières en Afrique orientale. Les trafiquants pourraient ensuite le capturer plus au sud, en Afrique australe, encore préservée du braconnage », s’alarme Patricia Tricorache. Plus globalement, le nombre de guépards pourrait chuter de moitié dans les quinze prochaines années, selon les scénarios. Avec à ce rythme, pour le guépard, une fin de course possible dès le milieu du siècle
Bruno Meyerfeld

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
Cet article, publié dans Afrique, animaux, est tagué , , , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.