Le travailleur du clic prend des claques

20 Minutes – 11/02/2019 – Propos recueillis par Laure Beaudonnet –
A côté des « data scientists » et des ingénieurs a émergé une nouvelle forme de main-d’œuvre, sujette à des activités répétitives et très mal rémunérées. Geralt / Pixabay
Taylorisation – L’auteur d’« En attendant les robots » , Antonio Casilli, définit les nouveaux emplois précaires créés par l’intelligence artificielle
Dans son enquête sur le travail du clic, En attendant les robots (éd. du Seuil), le sociologue Antonio Casilli, enseignant-chercheur à Télécom Paris Tech, détricote les fantasmes liés à l’intelligence artificielle. Il met au jour les coulisses des algorithmes intelligents et des grandes plateformes numériques. Alimentées par des micro-travailleurs qui effectuent « un travail tâcheronnisé et datafié », elles poussent à l’extrême les logiques tayloristes de fragmentation de l’activité humaine. Antonio Casilli revient sur les nouveaux emplois précaires créés par l’intelligence artificielle. Interview lexicale.
« Digital labor » . « E n anglais, on utilise le terme “labor” pour parler d’un travail qui s’inscrit dans les rapports sociaux : “travailler pour”, “travailler avec”. Et on parle de “digital” pour rester fidèle à l’étymologie latine d’un travail fait avec le doigt. Cela indique un travail du clic, simple, à la main. J’ai différencié trois types de “digital labor” : le “travail à la demande”, comme Uber ou Deliveroo, qui repose sur des applications mobiles et qui produit énormément de données ; le “micro-travail”, qui désigne le travail d’une foule de personnes auxquelles sont confiées des tâches très courtes et fragmentées ; et le “travail social en réseau”, qui illustre ce que chacun d’entre nous réalise sur les plateformes dites “sociales”,comme Facebook ou Instagram. Ce dernier consiste moins à produire des contenus que des métadonnées. Et les plateformes se servent de ces données pour automatiser certains processus. »
« Micro-tâcheron ». « L es micro-tâcherons représentent une nouvelle classe de travailleurs. Les plateformes mettent en place des stratégies pour les subordonner. Les micro-tâcherons ne peuvent développer de compétences ou s’organiser entre eux. Au contraire, leur travail est fragmenté, réduit au minimum. De cette manière, ils finissent par être relativement isolés, aliénés, mal payés et peu protégés. »
« Fermier du clic ». « L es fermiers du clic sont des ouvriers de l’Inter-net, souvent installés dans des pays émergents. Ils travaillent depuis des structures qu’on appelle des « fermes à clic ». Parfois, elles ont pignon sur rue. Elles peuvent aussi ressembler à un garage, à la maison d’un particulier, à des usines désaffectées. Chaque fois, des centaines de personnes passent d’un smartphone à l’autre pour cliquer sur des applications, des contenus, des vidéos ; pour liker des posts sur Facebook, se déclarer fan de tel article ; pour retweeter, suivre un compte. To ut cela moyennant des revenus extrêmement faibles. »
« Robot humain ». « E n 2013, Anthony Levandowski, ex-monsieur véhicules autonomes de Google parti chez Uber, a employé l’expression de“robot humain” pour définir les personnes qui s’occupent de labelliser et de trier à la main les images et les données que les véhicules auto-nomes ont enregistrées. La voiture autonome est une sorte d’ordinateur sur roues qui enregistre énormément d’informations. Et ces informations ont besoin d’être traitées. Qui fait ce travail ? Les humains qui se cachent dans les robots. »
 « Turker ». « Un “turker” travaille pour Amazon Mechanical Turk. La plate-forme a repris ce terme pour dire : on ne va pas mettre une seule personne à l’intérieur d’un robot mais des foules de micro-travailleurs. A l’intérieur de chaque entité artificielle, on va mettre des centaines de milliers de personnes qui vont, à la main, parfois simuler le fonctionnement d’un logiciel, parfois entraîner un algorithme, parfois valider et contrôler ce qu’un robot fait. Ils passent derrière pour voir si le robot a bien œuvré. Ce sont des micro-travailleurs, payés à la pièce quelques centimes d’euros pour réaliser ces tâches nécessaires pour entretenir et faire fonctionner les intelligences artificielles actuelles. »

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