Obsessions identitaires

Charlie Hebdo – 27/02/2019 – l’édito de Riss –
On n’imaginait pas, il y a seulement cinq ou dix ans, être obligé de parler de cette chose étrange qu’est l’identité. Le terme est tellement sujet à fantasmes, interprétations et malentendus, qu’il a toujours été extrêmement dangereux de le faire entrer dans l’arène politique. En 2009, Sarkozy avait lancé un grand débat sur l’identité nationale. Le résultat fut catastrophique, et l’initiative se transforma en déversoir de haine et de racisme.
Statue de Vercingétorix sur le site d’Alésia.
On pouvait espérer la gauche plus claire sur cette question explosive. On découvre aux détours des débats qu’il n’en est rien. L’obsession identitaire a aussi investi une partie de ses rangs. Il y a pourtant un principe qui aurait dû lui éviter de s’égarer. Celui du droit du sol qui prime sur le droit du sang, pour déterminer la nationalité française. Ce simple indice signale qu’en France on s’est toujours méfié d’une définition de l’identité construite autour de l’héritage génétique ou familial, et qu’on a plutôt privilégié celle qui se construit par l’ensemble des relations tissées dans l’espace commun. 
Les choses semblent s’être dégradées depuis. A force de brandir son antiracisme comme un brevet de moralité, une partie de la gauche a fini par se laisser convaincre que le seul moyen de protéger les personnes victimes de ségrégation est de revendiquer sa race, ses origines, comme principal marqueur de son identité. 
Passé la satisfaction furtive d’affirmer sa singularité, la fierté d’appartenir à un groupe induit un gros inconvénient : celui d’acter la division de l’humanité en catégories étrangères les unes aux autres. Après avoir semé les graines du communautarisme, il ne reste plus qu’à voir éclore comme du chiendent la haine et les conflits identitaires. 
Car il est plus facile de se recroqueviller sur soi-même que d’aller vers l’inconnu qu’est autrui. Le chemin pour découvrir l’autre ne s’arrête pas à l’émerveillement béat des différences. Il doit se prolonger plus profondément afin de déceler les points de convergence qui relient tous les humains de cette terre, par-delà leurs cultures et leurs traditions.
Cette démarche a une finalité très pragmatique : la politique. On ne peut édifier des sociétés structurées et harmonieuses si on n’est pas capable de déterminer les valeurs communes à tous les individus. On appelle cela l’intérêt général.
Historiquement, la gauche s’est toujours voulue protectrice de cet intérêt général, par opposition à la droite, plus soucieuse de défendre d’abord les intérêts particuliers. Or la gauche s’est laissée embrigader par l’individualisme exacerbé de notre temps. Nous en sommes là, quand la prise en compte des particularismes infinis de l’humain atteint ses limites. Les revendication de plus en plus nombreuses d’identités innombrables sont une impasse politique. L’obsession identitaire se transforme alors en tyrannie. 
Le problème, c’est qu’en renforçant les identités, ce sont les gens qu’on désunit.  Les identity politics incarnent le contraire d’une politic. Car la politique, c’est permettre aux gens de vivre ensemble. Cette question délicate mérite de mettre en commun nos forces et nos idées, afin d’être mieux armés pour en comprendre les difficultés et en combattre les démons.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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