La Cour des comptes envoie l’Ordre des médecins en soins intensifs

Le Canard enchaîné – 28/02/2019 –
Son rapport provisoire dénonce des dérapages en tout genre et des « déontologues » apathiques. Abus sexuels sanctionnés par la justice mais pas par la profession, comptabilité folklorique, devis non respectés, disparition de matériel, frais fictifs, cadeaux des labos… A en croire un rapport – encore provisoire – de la cour des comptes,  le Conseil national de l’ordre des médecins (Cnom) est en longue maladie et a besoin d’une « révolution » !
Créé en 1945, cet organisme privé est chargé de missions de service public. Il compte 3 311 élus pour 290 000 médecins, dispose d’un budget annuel de 85 millions d’euros et emploie 583 personnes. Après un an d’enquête, les dérives de ce gros machin relevées par la cour des Comptes sont si préoccupantes que cette dernière envisage de saisir la justice pénale. Extrait de son ordonnance.
Hyperthermie sexuelle. A l’instar de vulgaires élus/acteurs/journalistes/curés, certains toubibs sont saisis d’une fièvre libidineuse – sans contrecoup professionnel. La Cour des comptes a identifié « de nombreux cas où des médecins ayant fait l’objet de doléances, de signalements ou de plaintes (conciliées ou retirées par les plaignants), condamnés au pénal ou placés sous contrôle judiciaire pour des faits en lien avec  leur exercice, n’ont fait l’objet d’aucune poursuite disciplinaire« .
C’est le cas du docteur A. Exerçant dans les Hauts-de-France, cet endocrinologue est visé, en juillet 2014, par une première plainte pour abus sexuel. En novembre 2015, il est placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de pratiquer… la gynécologie. Le signalement envoyé le 11 juin 2014 au Cnom par le docteur B., chef de service au sein d’un CHU de la région, n’a été enregistré par le Conseil de l’Ordre que… le 7 décembre 2015 ! Il répertoriait pourtant les témoignages de cinq patientes assurant avoir subi des attouchements de A Étrangement, constate la Cour, « aucune suite [administrative] n’est donnée.« 
Hémorragie informatique. Entre 2011 et 2017, les « petits achats » informatique ont crû de 55 %, pour atteindre près de 650 000 euros. Les élus de l’Ordre n’ont rien trouvé à y redire. Sûrement une étourderie : l’inventaire de la Cour des comptes déplore l’absence de 83 tablettes Samsung, de 4 iPad, de 10 portables et de 52 ordinateurs fixes et portables.  Un préjudice de près de 300 00 euros.
Frais pas très médicaux. En 2017, le 54 membres du Conseil national ont perçu 2,2 millions d’euros d’indemnités et se sont fait rembourser 2,6 millions de frais.  Des dépenses en hausse de 33 % depuis 2011, a calculé la Cour. Parmi ces 54 toubibs, 16 membres du bureau ont touché, au total, plus de 1 million d’euros – les plus chanceux palpant jusqu’à 90 000 euros par an. Dénuées de base juridique, ces indemnités forfaitaires s’apparentent, aux yeux de la Cour des comptes, à des « rémunérations déguisées« . 
Contagion entre parents. Les magistrats ont, par ailleurs, débusqué des « pratiques de recrutement » très « familiales« . La fille et la nièce de deux élus nationaux ont ainsi bénéficié de promotion éclair, et une épouse est devenue responsable du service administratif. La belle-fille du trésorier d’un département du Sud-Est a vu ses émoluments bondir de 67 % en un an. Et la rejetonne du président d’une région a été augmentée de 153 % en dix ans !
(Gros) cachets guérisseurs. Encadrées par la loi du 29 décembre 2011, les « relations médecin-industrie » sont censées être publiques. Sauf que, depuis la loi, s’étonnent ces répressifs de la Cour, « aucun médecin n’a été convoqué par le Conseil national, et aucune poursuite disciplinaire n’a été engagée« . Et ce malgré un logiciel (à 900 000 euros) enregistrant toutes les « conventions » liant les médecins aux entreprises pour des déplacements, des évaluations de médicaments, de matériel médical, etc. Soit, en 2017, 1,5 million de contrats, et 200 millions d’euros encaissés par les médecins.
Remèdes à la mélancolie. Les Bahamas, Hawaï, Palm Beach, l’ile Maurice, Bangkok… Le docteur G;, pneumologue, a pas mal bourlingué entre février 2016 et septembre 2018, à l’occasion de 11 congrès internationaux, tous organisés dans l’assistance respiratoire. Des séjours financés par les labos à hauteur de 27 500 euros, et préalablement approuvé par le Cnom, avec cette remarque insolite : « L’absence de programme ne permet pas de vérifier si la quantité de nuitées et de repas pris en charge est justifiée« . Le cas de G. n’est pas unique : une quinzaine de médecins, principalement des cardiologues, des ophtalmos et des oncologues, participent, chaque année, à plus d’une dizaine de congrès. Ils sont entre 200 et 700 à être concernés par au moins cinq invitations.
Incontinence comptable. Avec ses 80 millions d’euros de cotisations annuelles (180 millions de réserves et un patrimoine immobilier de plus de 110 millions), l’Ordre est riche. Pourtant, malgré les 800 000 euros versés chaque année à des experts comptables, « la comptabilité de l’Ordre est insincère« , déplore la Cour. Et de dénoncer « approximations, manques, erreurs » et même « écritures délibérément faussées ». La faute au Conseil national, qui « fait preuve d’un aveuglement coupable sur l’étendue des dysfonctionnements« .
Conseil national de l’Ordre des médecins, rue Léon-Jost
Exemple ? L’aménagement, en 2016, de nouveaux locaux, rue Léon-Jost à Paris (XVIIème) : pas d’appel d’offres, pas de mise ne concurrence ou de contrat. Entre 2016 et 2018, l’aménageur du nouveau siège a perçu 8,8 millions – pour un devis initial de 4,9 millions. En juin 2017, présentant son bilan financier, le trésorier de l’Ordre affirme à ses pairs que le « budget travaux » s’élève à 5 millions. Or, à l’époque, note la Cour, il a déjà atteint 7,9 millions. C’est Alzheimer, docteur ?

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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