Les Chinois attrapent les États par la dette

Le Canard enchaîné – 27/03/2019 –
Hervé Martin -Investissements contre prise de contrôle : les routes chinoises n’ont rien de soyeux.
Les 300 Airbus achetés le 25 mars pour 30 milliards d’euros par le président Xi Jinping, arrivé en France le jour même, vont-ils survoler les « nouvelles routes de la soie » ? Ce projet soyeux fait rêver les occidentaux. Mais en chinois, on dit : « une ceinture, des routes » – un nom au parfum nettement moins exotique pour ce gigantesque programme de prêts de 1 000 milliards de dollars lancé en 2013. 
Le but ? Financer, en Asie et en Europe, les grandes infrastructures (voies ferrées, routes, lignes maritimes, ports, etc.), afin de permettre à l' »usine du monde » d’exporter ses produits. Et, d’éventuellement, d’en acheter quelques uns aux pays fauchés acceptant d’entrer dans le jeu.
Grande muraille
L’Italie, par exemple, se réjouit d’avance de pouvoir refourguer (par avion) ses oranges siciliennes à l’empire du milieu, en échange d 20 milliards d’investissements chinois (port de Gênes et de Trieste, réseaux de télécommunication 5G, etc.) Premier pays européen à adhérer à cette route de la soie, l’Italie est aussi le deuxième plus endetté, après la Grèce – qui a déjà concédé le port du Pirée, en 2016… 

La France, elle, est mieux équipée pour résister à une mainmise sur des domaines sensibles. Depuis des années, un décret permet d’interdire les investissements stratégiques au sein de l’Hexagone. Quand Dominique de Villepin occupait Matignon, le texte a été élargi pour protéger Danone – une boîte pourtant assez peu « stratégique » – des appétits des Américains. La réglementation, depuis, a été  renforcée avec Arnaud Montebourg à Bercy, et elle devrait l’être davantage via la loi Pacte, actuellement soumise au vote du Parlement.
Quant à soie
Bruxelles, en revanche, ne projette pas d’ériger une Grande Muraille. La Commission européenne qui considère désormais la Chine comme un « rival systémique« , vient bien d’accoucher, au terme de mois de discussions, d’un règlement de filtrage des investissements étrangers. Mais ce document, qui entrera progressivement en vigueur d’ici à 2020, ne porte pas à conséquence : il prévoit simplement l’échange d’informations entre les pays européens et l’adoption de plusieurs critères communs.
Rien de cela n’est obligatoire, et chaque pays continuera d’agir à sa guise. Dernier exemple en date : le Portugal, qui entend vendre à la Chine son principal électricien, EDP, assurant 80 % de la production nationale. L’opération est on ne peut plus stratégique, mais l’Europe ne peut s’y opposer.
Afrique facile
Comble de l’ironie, ce sont les États-Unis qui vont peut-être faire capoter l’opération : EDP possède en effet une filiale américaine, et la loi US permet d’éviter qu’elle ne tombe entre les mains du Céleste Empire. Selon son entourage, Macron entendait signifier à Xi Jinping que l’Europe ne se laisserait pas faire : c’était le sens du rendrez-vous organisé le 26 mars à l’Élysée entre le Chinois, Macron, Merkel et le président de la commission Jean-Claude Juncker. En mandarin, le sens du nom Macron (prononcer « makelong ») n’est-il pas « le cheval dompte le dragon » ? Tout cela, c’était avant le mirifique contrat des Airbus…
La stratégie chinoise est encore plus directe en Afrique : elle finance toutes sortes d’investissements (ports, autoroutes, voies ferrées, barrages, etc.)  de ces nations souvent sans le sou et n’intéressant plus les États occidentaux… But explicite : se donner les moyens d’importer les matières premières dont la Chine a besoin, tout en exportant des produits finis. 
La construction de ces infrastructures s’accompagne souvent d’une clause piégeuse : si les débiteurs ne parviennent pas à payer les échéances de remboursement, les infrastructures passent sous la bannière rouge. C’est ce qui est arrivé en décembre 2017 au Sri Lanka, qui, ayant fait défaut à ses créanciers chinois, a dû leur céder le port de Hambantota sur la route de Singapour à Bombay.   
En septembre 2018, la Zambie a perdu, dans des conditions similaires le contrôle de son aéroport international et de son réseau électrique. Le Kenya, incapable de rembourser à Pékin un prêt de 4,3 milliards d’euros censé financer la ligne ferroviaire entre Nairobi et le port de Monbasa, est menacé de voir saisir son port et l’entrepôt de conteneurs de Nairobi qui l’alimente. L’Éthiopie, elle, essaie de conserver sa ligne ferroviaire entre Addis-Abeba et Djibouti, financée par Pékin. 
La situation est telle que les neuf pays du G7 ont mis à l’ordre du jour de leur prochaine réunion, en mai, le cas de ces pays surendettés qui, petit à petit, deviennent des vassaux de la Chine.

A propos werdna01

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