Vive l’Europe de la bagnole et du blindé

Charlie Hebdo – 10/04/2019 – Jacques Littauer –
On va vous le seriner d’ici aux élections européennes, ‘Europe, c’est la paix, le progrès social, la coopération, et, bien sûr, la protection de l’environnement. Enfin, ça c’est ce qu’il y a de marqué sur les dépliants publicitaires. Parce que la réalité est un poil moins rose. Quel es à votre avis, le sujet qui agite les dirigeants européens en ces temps de noyades de migrants, de destruction de nos conditions matérielles de vie et de déstabilisation de nos démocraties ? 
La bagnole. Oui, la bagnole. Les allemands dont l’économie est tirée par les quatre roues – jantes chromées –  des Audi, Mercedes,  BMW Volkswagen, sont animés d’une sainte trouille : que The Donald leur impose des droits de douane à l’entrée du marché américain, où la berline teutonne se vend bien. L’automobile allemande est un mastodonte, qui représente 13 % du PIB allemand et près d’un cinquième des exportations du pays. Nos amis germaniques veulent donc vite, vite, vite signer un accord commercial avec le pays de la liberté.
Chaîne de production automobile dans l’usine de Volkswagen à Wolfsburg, le 9 mars 2017. Chaîne de production automobile dans l’usine de Volkswagen à Wolfsburg, mars 2017. Fabian Bimmer / REUTERS
Mais un obstacle majeur se dresse sur leur route : le président de la république française, celui qui, l’année dernière, a reçu le prix Champion de la terre des mains d’Erik Solheim, le directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement.  Or, Manu l’a dit : « Je ne suis pas favorable à ce qu’on ait des nouveaux accords commerciaux […] avec des partenaires qui n’ont pas les mêmes exigences climatiques que nous. » Nathalie Loiseau, qui dirige la liste gouvernementale aux européennes l’a réaffirmé : « Il n’y aura aucun accord avec  les États-Unis, ‘ils ne reviennent pas dans l’accord de paris sur le climat. » Les allemands vont donc devoir essayer de vendre leurs diesels truqués aux Suédois ou aux Espagnols. 
A moins que… Vous vous souvenez de Jamal Khashoggi, ce journaliste saoudien travaillant pour le Washington Post et qui, le 2 octobre 2018, s’est fait bêtement assassiné, découper, puis dissoudre dans les locaux du consulat saoudien d’Istanbul ? A cause de ce malencontreux incident, des idéalistes d’Allemands ne veulent plus vendre d’armes à l’Arabie saoudite, au prétexte du « respect des droits de l’homme ». On croit rêver. Parce que les droits de de l’homme,c’est quand même nous qui les avons inventés. Et donc quand nous autres français vendons des armes à l’Arabie saoudite pour qu’elle massacre pépère au Yemen, ce n’est pas pour faire tourner notre énorme industrie d’armement, mais c’est au nom des droits de l’homme.  
Or il suffit que les beaux engins de mort gaulois contiennent une seule minuscule pièce allemande pour qu’ils soient frappés par l’embargo. La France a ainsi déjà perdu deux énormes contrats : des missiles air-air (système de propulsion allemand) et des blindés (boitiers de vitesse germaniques). Anne-Marie Descôtes, ambassadrice de France en Allemagne, a de ce fait accusé nos alliés allemands de traiter la question des exportations d’armements « comme un sujet de politique intérieure » alors qu’elle a « des conséquences lourdes pour […] la souveraineté européenne (1) ». Mais on n’en a pas trop entendu parler de ce côté-ci du Rhin, n’est-ce pas ? 
Et donc, d’ici aux élections européennes, la France va s’opposer au traité commercial avec les États-Unis, au nom de « la défense du climat ». Et puis, une fois les élections passées, l’accord sera signé, au nom de « la construction européenne ». Parce que les bagnoles et les missiles, ça n’attend pas.  
(1) Sébastian Seibt, « L’embargo allemand sur les ventes d’armes à Riyad agace Paris » (France24, 29 mars 2019).
Lire aussi : Des documents classés confidentiels détaillent les armes françaises utilisées dans la guerre au Yémen – (France24 – 15/04/2019)
Des chars Leclerc français, de la coalition dirigée par les Saoudiens, déployés dans le district de Dhubab, le 7 janvier 2017, au Yémen.Des chars Leclerc français, de la coalition dirigée par les Saoudiens, déployés dans le district de Dhubab, le 7 janvier 2017, au Yémen. Saleh Al-Obeidi, AFP
Des armes made in France utilisées dans la guerre au Yémen. Le nouveau site d’information Disclose, en partenariat avec Mediapart, Konbini, Radio France, Arte et The Intercept, a publié, lundi 15 avril, des documents classés secret-défense apportant la preuve de l’utilisation d’armes françaises vendues à l’Arabie saoudite dans le conflit au Yémen, notamment dans des zones où des dizaines de civils ont été tués.
Intitulés « Yémen – situation sécuritaire », ces documents transmis, selon Disclose, à Emmanuel Macron, à la ministre des Armées, Florence Parly, au Premier ministre, Édouard Philippe, et à celui des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, détaillent l’arsenal français utilisé par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis contre les rebelles houthis au Yémen.
Chars Leclerc, obus-flèche, Mirage 2000-9, radar Cobra, blindés Aravis, hélicoptères Cougar et Dauphin, frégates de classe Makkah, etc., la liste des armes françaises dressée par les auteurs de ces « Yémen Papers » est longue. Et les ventes françaises ne devraient pas s’arrêter là puisque l’enquête révèle, en outre, que des exportations d’armes vers l’Arabie saoudite vont se poursuivre, selon un nouveau contrat signé en décembre. Signé par le groupe industriel français Nexter, le contrat prévoit notamment la livraison  de véhicules blindés et de canons au royaume wahhabite entre 2019 et 2024.
L’Arabie saoudite pose les fondations de son programme nucléaire (France24 – ) – L’Arabie saoudite s’apprête à lancer son programme nucléaire, jugé nécessaire par Riyad pour réduire sa dépendance énergétique envers le pétrole. Certains mettent en garde contre le danger de ces ambitions nucléaires.

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