Séries TV : la énième saison…

Charlie Hebdo – 24/05/2019 – Guillaume Erner –
Ne dites plus la peste, dites Netflix. Pas la peine d’employer les mot virus, « série » suffit. La voilà, la pathologie terrifiante – une de plus – véhiculée par Internet. De nombreuses causes de crétinisations de nos contemporains sur le Web ont déjà été identifiées. Il est patent que des légions d’humain ont perdu leur cerveau en trollant leurs prochains sur Twitter, ou bien en « likant » d’autres zombies sur Facebook. Mais pourquoi diable personne ne s’émeut des effets délétères des séries sur notre espèce ? Je suis sûr que, dans quelques décennies, les individus auront abandonné toute activité productive ou reproductive. On les retrouvera hébétés devant la saison 456 de Game of Thrones – oui, je sais, c’est censé être la dernière. Mais aujourd’hui, toutes les séries, du Brexit à Grey’s Anatomy, semblent interminables. Et quand, par bonheur, l’une d’entre elles s’achève, elle recommence avec un préquel, l’histoire de la série avant la série (voyez La guerre des étoiles).
Game of Thrones – saison 8
C’est bien connu, le poison, c’est la dose. Jadis existait quelque chose qui s’appelait le cinéma. On y allait une fois ou deux par semaine, et le reste du temps, le film que vous aviez vu prospérait en vous, lorsqu’il s’agissait d’un bon film. Désormais, avec Netflix, vous pouvez vous abîmer dans les séries successives, entrecoupées par quelques rares entractes de vie. Des bataillons de scénaristes formés aux techniques narratives et des pelletées d’artistes se sont ligués pourvous apporter votre dose quotidienne. L’expression employée – binge viewing, « prendre une cuite de séries » – est tout de même suffisamment parlante…  Netflix, Amazon, Prime Video, le dealer est coté en Bourse, mais il n’y a toujours pas de drogués heureux… Des pelletées de zombies attendent, le teint blafard, l’iPad frétillant, la énième saison de je ne sais quelle bouillie américaine. Oui, il faut l’admettre : en matière de psychologie humaine, les séries sont à Truffaut ce que Guillaume Musso est à Proust. Chacune de ces daubes repose sur un principe simpliste. Game of Thrones : Le Moyen Age est méchant. House of Cards : les politiciens sont méchants. Narcos : les trafiquants sont méchants.  Si vous survivez aux premiers épisodes, c’est que vous êtes morts. 
Soyons clairs : il y a plus de réel dans un épisode des Ch’tis à Miami que dans 10 Go de Homeland. Car les séries ressassent sempiternellement les mêmes univers et les mêmes caractère. On y rencontre principalement des dealers, des espions et des nains. A côté, les James Bond relèvent de la fresque sociale. Mais peu importe, les séries ne sont pas là pour vous permettre de comprendre le monde, elles visent au contraire à vous permettre de l’oublier. Grâce à elles, vous allez pouvoir vous « évader », entend-on, manière parfaite de dire que vous vivez en taule.  pour ma part, j’accepterai de visionner la prochaine saison de Black Mirror quand j’aurai relu Balzac en javanais.
Alors oui, on vous explique que Dumas ou Balzac, à leur époque, écrivaient déjà des séries. Mais justement : jusqu’à une date récente, les humains citaient encore les noms de Balzac ou de Dumas. Aujourd’hui, personne ne serait capable de donner le nom d’un créateur de série. Qui s’en étonnera ? Ces produits ne sont pas créés mais développés, tournés, marketés. « L’être humain est né pour être libre, et partout il est dans les chaînes« , disait en substance Rousseau. Désormais, les séries ont remplacé les chaînes.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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