Le Canard enchaîné – 22/05/2019 – Odile Benyahia-Kouider –
Le gouvernement veut lutter contre les déserts numériques en mutualisant la couverture mobile et Internet
Les dirigeants d’Orange, de SFR et de Bouygues Télécom ont reçu un sacré choc… acoustique. Conviés chacun à leur tour, entre le 15 avril et le 17 mai, par Julien Denormandie, le sous-ministre de la Ville et du Logement, Stéphane Richard (Orange), Alain Weill (Altice-SFR) et Martin Bouygues ont eu la surprise de se voir proposer une « itinérance généralisée ». Autrement dit, une mutualisation complète du réseau… Le gouvernement souhaite que les abonnés de chaque enseigne puissent basculer automatiquement sur les fréquences des concurrents. Ainsi, les zones grises, souvent desservies par un seul opérateur et où le débit d’Internet n’est pas aussi important que dans les grandes agglomérations, seraient mieux couvertes.
Sur le papier, cette idée répond parfaitement aux revendications des gilets jaunes. Mais les trois premiers téléphonistes ne sont pas sur le même longueur d’onde. « Free en retirera un avantage concurrentiel évident ! » s’insurge l’un. « Nous avons investi des milliards dans nos réseaux, pourquoi devrions-nous partager nos fréquences ? Autant nous nationaliser tout de suite ! » s’étrangle un autre. « Qui paiera la location à qui ? » s’inquiète le troisième.
Dernier arrivé dans le secteur, Free Mobile serait le principal bénéficiaire de cette mutualisation : il dispose d’une couverture moins étendue que ses concurrents, et son contrat d’itinérance avec Orange prendra fin en 2020 pour la 3G, au plus tard en 2022 pour la 2G. Certes, Free a construit son propre réseau en 4G, mais ce dernier est encore incomplet. Et puis les firmes de télécoms doivent encore investir dans la fibre et dans les fréquences 5G, qui permettront, à partir de 2020, l’utilisation de véhicules autonomes et la connexion des objets. « A moins que le gouvernement ne compte mutualiser aussi la 5G, ricane l’un des trois opérateurs. Dans ce cas, il ne pourra pas faire monter les enchères ! »
Le sujet divise jusqu’au plus haut sommet de l’État. Si la Direction générale des entreprises, à Bercy, juge le projet présenté par Julien Demormandie « techniquement irréaliste », Matignon marche sur des œufs. Le Premier ministre connaît la proximité d’Emmanuel et Brigitte Macron avec le couple formé par Delphine Arnault et Xavier Niel (Free), ce dernier étant l’un des patrons les plus souvent invités dans les voyages présidentiels.
Belle friture en perspective !