Transport aérien : libérons le ciel…

La Décroissance – mai 2019 –
« Je ne crois pas à la solution de ne plus prendre l’avion. Ce n’est pas naturel, la grande majorité ne suivra pas », confessait M. Jean-François Rial, président de l’association Voyageurs du monde, dans Le Monde du 13 avril. Ces derniers temps pourtant, même Le Figaro, Libération, Le monde, se sont pourtant étonnamment interrogés : prendre l’avion, est-ce vraiment « naturel », de surcroît, « pour la grande majorité » ? Nous avons posé la question à la fondatrice de Stay Grounded (en français: « Restez au sol »), Magdalena Heuwieser. Ce réseau international créé à Vienne voici trois ans compte 90 organisations membres dans le monde. 
Stay Grounded milite-t-il pour une suppression de l’aviation ? 
Magdalena Hieuwieser : « Suppression », c’est un mot fort… mais oui, nous sommes convaincus que le réchauffement global nous oblige à laisser les combustibles fossiles dans le sol et à réduire les émissions de gaz à effet de serre le plus rapidement possible, ce qui ne peut se faire sans réduire le trafic aérien.Une industrie aéronautique décarbonée est impossible et il n’y aura pas de solution technique au problème dans les prochaines décennies. Il faut donc que, dans les pays industrialisés et chez les personnes riches qui prennent régulièrement l’avion, on apprenne à arrêter de voler, à utiliser davantage le train, à prendre plus de temps pour faire de longues distances ou à rester davantage chez soi et à faire des réunions par téléconférence. C’est possible, et ceux qui ont déjà fait le choix de rester sur terre ont beaucoup à dire sur les expériences positives qu’elles en ont retiré : Moins de stress, d’excellentes vacances passées localement…
Qu’est-ce qui vous à conduit à créer Stay Grounded ? Quelles actions menez-vous pour faire prendre conscience à nos contemporains des ravages de l’aviation ? 
Quand nous avons commencé, nous étions quelques individus et collectifs en lutte contre des projets d’agrandissement d’aéroports, qui s’étendent en bétonnant des terres agricoles, en détruisant la nature et les habitats, afin d’attirer davantage d’avions toujours plus bruyants et polluants. En 2016, nous avons organisé des actions contre différents aéroports autour du monde, à Vienne, Londres, Mexico, Istanbul, Sydney et Notre-Dame-des-Landes… Nous avions réalisé que nous ne pouvions pas croire ces politiciens qui disaient : si nous n’agrandissons pas cet aéroport, l’aéroport concurrent s’agrandira à la place ». Partout, des aéroports sont construits : il existe plus de 1 200 projets d’infrastructure aéroportuaire dans le monde. Et ils sont construits parce que l’industrie – soutenue par les gouvernements qui subventionnent ces projets avec nos impôts – prévoit une croissance massive du trafic aérien. Nos actions ont donc pour but de sensibiliser le public à la question, pour construire une société civile active capable de faire pression sur les décideurs afin de réduire ces subventions à l’aviation. 
Les trains à grande vitesse sont aussi des sortes d’avions sur roues. Ne faut-il pas d’abord remettre en cause la vitesse et l’hyper-mobilité ? 
Les TGV sont souvent considérés comme des alternatives aux avions. Bien sûr, ils ont moins d’impact sur le climat. Mais leurs nuisances sont toujours largement plus importantes que celles des trains normaux ou des trains de nuit. Pour des longues distances, nous proposons d’utiliser les trains de nuit – ou, en effet, de réfléchir à l’utilité de ce trajet, de se demander s’il est si important pour soi ou pour la société. Après tout, l’hyper-mobilité nous même aussi à une vie stressante. De nombreux employés sont obligés d’être hyper-mobiles dans leur travail, ce qui entraîne des problèmes de santé et des difficultés à combiner leur rythme de travail avec leur vie de famille – c’est pourquoi ce sont surtout des hommes qui exercent ces emplois, ce qui renforce les inégalités hommes-femmes.
Quand un écologiste appelle à la « sobriété heureuse », à cultiver son jardin bio, tout en prenant l’avion pour aller à l’autre bout du monde, n’est-on pas en pleine hypocrisie ? 

J’ai l’impression que lorsque des gens ses sentent coupables ou offensés par quelqu’un qui propose un changement de comportement, la réponse peut se transformer en contre-attaque : « Oh, vous ne mangez pas de viande, mais je viens de voir que vous portez de nouveaux vêtements H&M ! » Dans un monde rempli d’incitations à la consommation et de structures favorisant les modes de vie insoutenables, il est difficile de vivre de manière sobre et d’être totalement cohérent. C’est bien la raison pour laquelle, au final, nous devons aussi modifier les structures. Je ne voudrais donc pas reprocher à un individu de cultiver un jardin bio et de prendre l’avion en même temps, je dirais que c’est mieux que rien, c’est une étape. Parfois, certains prennent l’avions parce qu’ils n’ont pas vraiment le choix et que cela leur est indispensables pour voir sa famille ou faire un travail de solidarité à l’étranger. Surtout, le plus important c’est de combiner résistance et alternatives, comme le jardin « Grow Heathrow » en opposition de l’aéroport de Londres, ou comme la zone à défendre contre l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes où ont émergé de nombreuses activités paysannes.
« Hier, nos anciens montaient à Paris, et c’était le périple d’une vie que de quitter leur village. Aujourd’hui, nos enfant prennent l’avion comme nous prenions le bus. Et rêvent d’Amérique, d’Asie, d’Afrique, comme leurs aïeux rêvaient de la conquête de la capitale. Le monde est devenu un village et nous voudrions le rétrécir pour nos enfants ? Croyons-nous vraiment que nous pouvons limiter leur imaginaire à nos frontières ? C’est totalement illusoire. » C’est ce que dit même Yannick Jadot, tête de liste des Verts pour les européennes, qui s’adresse ainsi à la sociologie de l’électorat écolo,  jeunes urbains diplômés et hyper-mobiles. C’est un sujet sensible, car ceux qui remettent en question l’aviation sont vite accusés par de prétendus « défenseurs de la planète » de vouloir se replier dans leurs frontières… Combien de jeunes générations Erasmus qui défilent derrière Greta Thunberg sont prêts à abandonner leur mode de vie kérosène ?
Prendre l’avion, cela a une image. C’est rapide, c’est cool, c’est le symbole de l’ouverture interculturelle, de la liberté… L’avion a remplacé la voiture comme signe de distinction sociale. Dès que les gens s’habituent à quelque chose, il semble impossible de revenir dessus. Et pourtant c’est possible. Il y a seulement 20 ans, prendre l’avion était quelque chose d’exceptionnel. Et même à l’heure actuelle, plus de 80 % de la population mondiale n’a jamais vu un avion de l’intérieur. Or ce sont ceux qui souffrent le plus de la crise climatique ! pour moi, il est tout à fait clair qu’à cause de cette injustice, nous devrions réduire drastiquement notre consommation. Puisque cet altruisme ne semble pas aller de soi, il est donc nécessaire de modifier les règles du jeu, de modifier les structures qui, jusqu’à présent, ont facilité les vols à bas prix. 
« Notre stratégie ne peut, ni ne doit, être de nous déplacer moins », disait le président de la République française Emmanuel Macron le 27 novembre 2018. Mais ce point de vue, c’est celui de toute la classe politico-médiatique européenne. Le trafic aérien double tous les 15 ans. Sommes-nous seulement au début du désastre ?
Oui, quand j’entends ceci, j’ai moi aussi peur pour mon avenir, pour l’avenir de nos enfants. Il est tellement évident que d’énormes changements sont nécessaires pour faire face au désastre climatique à venir. Et cela signifiera changer de mode de vie. Ce qui ne veut pas forcément dire vivre moins bien. J’ai passé de très bonnes vacances même si, ces cinq dernières années, je n’ai pas pris l’avion. J’adore dormir dans les trains de nuit et j’aime pouvoir vivre à la campagne, avoir un jardin tout en travaillant avec une excellente équipe et avec Stay Grounded, grâce aux réseaux de télécommunication. Je pense que nous avons besoin de renforcer la voix des étudiants qui manifestent pour le climat, comme Greta Thunberg,  afin d’affirmer que ce combat est vraiment urgent – et de montrer qu’il existe des alternatives.
Pierre-Emmanuel Neurohr a été mis en examen le 7 septembre 2012 et incarcéré à la prison de la Santé pour avoir tenté d’empêcher un avion de décoller de Roissy le 5 septembre. Son action symbolique était non violente.

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