Deliveroo : ras-le-bol dans l’Uber-économie

Charlie-Hebdo – 14/08/2019 – Natacha Devanda –
Les coursiers, au patron de Deliveroo: «Il est temps que les CEO intègrent le concept de respect de l’employé»
A Paris, mais aussi en province, depuis le début du mois, les livreurs de Deliveroo se rebiffent, refusent les courses, lancent les appels au boycott auprès des clients de ces plateformes numériques qui mettent en relation restaurateurs et livreurs. Le but ? Faire prendre conscience que, « derrière le burger livré à domicile, il y a un mec qui souffre« , explique Redouane, livreur à vélo chez Uber Eats, venu par « solidarité avec les collègues de Deliveroo« .
C’est la baisse du prix de la course décidée par la plateforme qui a ouvert les hostilités. Le tarif, il est vrai, ne cesse de dégringoler, passant de 7 euros à moins de 3 euros fin juillet 2019, quand les livreurs « en grève » réclament un minimum de’ « 5 euros la course« .
Réparations de leur vélo ou de leur scooter à leur charge, prises de risques, accidents, conditions de travail exécrables, absence de couverture sociale, temps d’attente non rémunéré… les livreurs dévoilent l’envers du service de la livraison à domicile. « Qui peut accepter de travailler pour 2,70 euros » questionne Hamza, 32 ans, coursier depuis 2017, furieux contre ce patron insaisissable qu’est Deliveroo. 
Autoentrepreneurs, mais archi-précarisés, les livreurs commencent à comprendre que l’uberisation, sous son faux nez sympa de liberté, est en fait « la grosse carotte du siècle », comme le résume un livreur en faisant pétarade son scooter, prêt à bloquer un restaurant parisien. Ces blocages font partie des actions menées par le Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap), structure qui tente de jouer le rôle d’un syndicat auprès de travailleurs souvent paumés quand il s’agit de défendre leurs droits. « On regarde de près les procédures menées devant la justice par des livreurs. Les juges reconnaissant le lien de subordination inhérent à tout contrat de travail, aussi précaire soit-il » explique Jérôme Pimot, le porte-parole du Clap. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleurs des mondes justiciables. Il suffirait aux livreurs de traîner les plateformes devant les tribunaux pour se voir reconnaître leurs droits : cotisations,sociales, heures sup, congés payés…
Pas si simple sous la Macronie qui promeut la « start-up nation » pour tous et ou tout est fait pour faire valser les status, du fonctionnaire au salarié. Ainsi, la loi d’orientation des mobilités (LOM), présentée début juin à l’Assemblée nationale, s’intéresse de près aux plateformes numériques et a prévu de leur permettre de mettre en place – ou non (sic)… – une « charte de responsabilité sociale ». Le gouvernement vante cette avancée sociale. Pourtant, en échange de quelques droits (à la déconnexion, à la formation…), elle vient encadrer fort opportunément les décisions de justice, au moment ou la jurisprudence de la Cour de cassation requalifie le travail « ubérisé » en salariat. Un seul exemple, significatif, de cette déviance : la contestation éventuelle de la charte ne sera possible que devant un juge dédié, spécialisé et… civil.  Bye-bye les prud’hommes pour les livreurs.
Allez, LOM, encore un effort ! Avec le démantèlement du Code du travail, tout est prêt pour faire revivre, à la sauce 2.0, le contrat de louage de service qui sévissait au XIXème siècle.
Deliveroo est une entreprise britannique de livraison de plats cuisinés fondée en 2013 par Will Shu (en) et Greg Orlowski. Elle opère dans plusieurs pays : Royaume-Uni, Pays-Bas, France, Belgique, Irlande, Espagne, Italie, Émirats arabes unis, Australie, Singapour, Hong Kong et Taïwan. Les commandes sont réalisées via le site web de Deliveroo ou son application mobile auprès des restaurants partenaires et sont livrées par des coursiers indépendants (vélo, scooteretc.).
Le modèle social et économique de Deliveroo « repose sur une masse de précaires toujours plus nombreux. Inscrits en deux trois mouvements sur la plate-forme, ils sont mis en concurrence sur fond de pénurie de travail. En France, en2017, le chiffre d’affaires a atteint 54 millions d’euros, le bénéfice 1,5 million d’euros. En 2017, la société travaillait avec 6 000 restaurants et 10 000 livreurs.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
Cet article, publié dans Travail, est tagué , , . Ajoutez ce permalien à vos favoris.