Tests ADN : la course à l’échalote

Siné Mensuel – septembre 2019 – Sacha Cagnon –
L’arbre généalogique, c’est dépassé. Désormais, pour connaître ses ancêtres, il suffit de cracher dans un tube, envoyer le tout à une boîte censée vous révéler tout sur vos origines. Sauf qu’on ne sait pas vraiment à qui on confie sa substantifique moelle et quelles sont les dérives éthiques et politiques de cet énorme business.
En 2018, la police a arrêté « le tueur du Golden State » après des décennies de traque. Joseph De Angelo avait tué douze personnes et violé 45 femmes en Californie entre 1976 et 1986. Les enquêteurs ne disposaient que d’une empreinte génétique, inutile puisque l’ADN du tueur ne figurait pas dans la base de données du FBI. En revanche, il apparaissait en partie sur l’un des sites à qui des millions d’américains confient leur ADN, curieux de découvrir pour une poignée des dollars s’ils ne seraient pas cousin de la reine d’Angleterre, une passion des origines dont nous avons dans ces colonnes, souligné l’inanité.
C’est ce hobby partagé par un parent de De Angelo qui a permis aux policiers d’identifier ,le ,tueur en limitant leur recherche à une seule famille. Mais si ces sites de tests ADN sont utiles pour arrêter les méchants, ils peuvent s’avérer tout aussi pratiques pour cibler n’importe qui, du bénéficiaire d’une assurance santé au solliciteur d’un prêt bancaire. 
Ces dérives potentielles n’empêchent pas le business de se développer à la vitesse grand V : il devrait brasser plus de 25 milliards de dollars par an dès 2021. Bien qu’interdite en France par la loi sur la bioéthique, la pub pour les entreprises qui fournissent ces kits de testing a déboulé chez nous avec tambours et trompettes lors du dernier concours Eurovision organisé à Tel-Aviv et sponsorisé par un géant israélien du secteur, MyHeritage. C’est ainsi qu’on a pu voir le candidat français Bilal Hassani assurer la promo sur You Tube du « kit ADN spécial Eurovision » « super fresh » a 59 euros au lieu de 70… Des dizaines de Youtubeurs partagent, avec un enthousiasme et une incompétence remarquables, des vidéos intitulées : « J’ai testé mon ADN et je n’en reviens pas. » Ou : « On a fait un test ADN, le résultat est surprenant ! » Ces pubs a peine déguisées ciblent les ados, qui constituent, comme par hasard, la part de la population la plus disposée – 85 % des moins de 20 ans selon un sondage – à se faire ficher le génome. 
ADN en accès libre
Aux États-Unis, le lobby des testeurs d’ADN est déjà en action : la Coalition pour la protection des données génétiques harcèle les législateurs pour les règles qui encadrent leurs activités soient calquées sur celles qui s’appliquent à Facebook ou Google avec le succès très relatif que l’on sait. Pire, comme le montre le cas du tueur du Golden State, le partage de son ADN n’est pas une décision individuelle, elle implique toute sa famille.
« En théorie, chaque individu qui partage son ADN devrait demander le consentement de ses frères et de ses cousins » précise le médecin David Agus dans le LA Times. C’est mal parti : soutenue par Google, l’association openSNP, qui prône la transparence complète des données génétiques, a créé un site ou l’on peut déposer en accès libre son ADN aussi facilement que l’on partage un selfie sur Instagram. Il ne manquait plus que les applis de rencontre comme Pheramor qui « évalue la compatibilité génétique de ses membres » grâce à des « prélèvements buccaux examinés par une équipe de scientifiques. » 
Une méthode infaillible : vous avez toutes les chances de tomber sur un(e) neuneu.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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