Réchauffement climatique : la marche pour le pinard

Charlie Hebdo – 18/09/2019 – Antonio Fischetti –
Toutes les plantations seront modifiées par le réchauffement climatique. Mais en cette saison de vendanges, il y a en une qui nous intéresse particulièrement : la vigne. Qu’allons-nous picoler dans le futur pendant que la maison brûle ? pour le savoir, nous avons accompagné des climatologues en Bourgogne.
Si on veut faire un reportage sur la vigne, ce ne sont pas les endroits qui manquent, de Saumur à Châteauneuf-du-Pape. Mais pour rencontrer des scientifiques qui étudient cette plante bénie, il y a nettement moins de choix. Nous avons trouvé les deux en même temps à Chablis. On connaît tous le vin blanc du même nom. Mais le village, situé dans le nord de la Bourgogne, un peu moins.
C’est là, au milieu des raisins, que je retrouve Catinca Gavrilescu. Cette doctorante de l’université de Bourgogne (située à Dijon) effectue une thèse de climatologie sur l’adaptation de la vigne au réchauffement global (après son master Vigne, vin et terroirs), un choix dicté par le désir de s’impliquer « dans des applications concrètes du changement climatique ». Le but, donc, est de comprendre comment la vigne tiendra le coup (ou pas) vu qu’on s’attend d’ici à 2050 à une augmentation moyenne de 1 à 2 °C.
Mais en attendant, à quelques jours du début des vendanges, voyons déjà comment la vigne se remet de la canicule de juillet. On sélectionne dans différentes parcelles, dans des endroits aussi variés que possible. Et là, il faut examiner les grappes une par une. Sans attendre de rentrer au labo pour une analyse détaillée, Catinca peut déjà dresser un premier bilan : « On voit que la canicule entraîne une baisse rendement ». Et il y a un moyen de limiter les dégâts en changeant certaines pratiques : « Les viticulteurs ont l’habitude d’enlever les feuilles exposées à l’est pour que le raisin reçoive plus de soleil. Mais cette année, les grappes sont souvent brûlées de ce côté. Dans l’avenir, les vignerons auront intérêt à laisser plus de feuillage pour protéger le raisin du soleil, comme cela se fait dans les vignobles du Sud« . Une solution encore plus radicale a été imaginée dans un vignoble des Pyrénées : les vignes sont surplombées par des panneaux solaires qui, en plus de produire de l’électricité, font de l’ombre au raisin. Cependant, pour Catinca, ce n’est pas une solution ici, car « ici le vignoble bourguignon est inscrit au patrimoine mondial de l’humanité, et ça ferait moche« . 
Quoi qu’il soit, le but de cette recherche n’est pas de proposer des solutions, mais de comprendre les relations entre climat et vigne. Et Cela dépend énormément de la nature du sol. Dans la région de Chablis, il est plutôt caillouteux et, de plus, peu épais et pauvre en eau, ce qui rend le vignoble très vulnérable aux variations climatiques. C’est pourquoi Catinca ne rate aucun détail du terrai. A un endroit, les feuilles sont très vertes, vigoureuse et bien alignées. Un mètre plus loin, elles sont malingres et poussent dans tous les sens… « Chaque secteur à un microclimat. Même un simple muret  peut affecter le rendu de la vigne ». Chaque vigne réagit donc différemment aux variations climatiques, en outre « il y a des différences entre les régions de Bourgogne, entre les différentes régions de France, et entre les différentes régions du monde« . Malgré tout, même s’il est impossible de tirer des conclusions générales, on peut déceler des tendances. 
C’est ce que confirme Benjamin Bois, directeur de thèse de Catinca et maître de conférences à l’université de Bourgogne; « D’une manière générale, dans les régions du Nord comme l’Alsace, le réchauffement est profitable et les bonnes années se succèdent. mais le réchauffement est préjudiciable dans les régions du Sud comme le Languedoc, où il entraîne une baisse de la production« . 
Il y a toutefois un point commun à toutes les régions : les vendanges se font partout de plus en plus tôt. Aujourd’hui, elles débutent en moyenne mi-septembre, soit deux semaines plus tôt qu’il y a une trentaine d’années. « On a moins besoin de rajouter de sucre, car les raisins sont plus mûrs. Pour l’instant, c’est considéré comme positif« . Sans rentrer dans la chimie du vin, on peut dégager quelques grandes lignes : « En Alsace, avant le vin faisait 8 à 9 degrés si on ne rajoutait pas de sucre. Aujourd’hui, il fait naturellement 11 degrés. » Certains arômes seront également modifiés, mais, selon Benjamin Bois, « on ne peut pas dire si le vin sera meilleur ou moins bon, car le goût du consommateur va évoluer lui aussi« . En résumé, on aura du vin plus fort en alcool, pas plus mauvais, et à boire sans tarder : en somme le réchauffement climatique ne devrait pas trop affecter la picole. 
Allons voir ce qu’en pense les vignerons. Tierry Richou habite à Irancy, à quelques kilomètres d’Auxerre. Au sein d’une région essentiellement dédiée au blanc, Irancy est un îlot spécialisé par tradition dans le vin rouge. Il s’est mis au bio en 2001 : « Avant on mettait des pesticides, car on était sous la pression des techniciens qui nous disaient d’en mettre. Mais depuis qu’on a arrêté, 9a marche très bien. » Côté négatif, il reconnaît des pertes : « Cette année, on estime entre 20 et 25 % les pertes sur certaines parcelles. On a déjà eu des grappes grillées d’autres années, mais à ce niveau là, c’est la première fois et ça commence à devenir inquiétant. » mais il relativise aussitôt cette baisse de production en précisant : « Cette année sera dans une petite moyenne sur le plan de la quantité, mais on devrait avoir quelque chose de bien en qualité. » pour continuer en mode positif, il ajoute que le réchauffement conduit à une réduction des traitements.
Enfin, d’autres effets du changement climatique sont encore difficiles à évaluer. « Il y a des endroits qu’on considérait comme de mauvais emplacements, car il étaient mal exposés, mais qui seront peut-être intéressants dans l’avenir. » Sur le plan foncier, certains propriétaires seront donc gagnants et d’autres perdants. En attendant, les vignerons bourguignons n’ont pas l’air paniqués par le changement climatique (mais il ne faudrait pas généraliser : leurs confrères du Languedoc ne seront certainement pas du même avis).
Si on va encore vers le Nord, le réchauffement pourrait même susciter de nouvelles vocations, en favorisant la viticulture dans des régions comme la Normandie ou les Haut-de-France (quant à la qualité, c’est une autre affaire : même avec un réchauffement extrême, il ne suffira pas de planter un pied de merlot à Maubeuge pour faire du saint-émilion). En tout cas, on n’aura plus de glaciers dans les Alpes, mais des vignes en Picardie. La planète sera déglinguée, mais ,on pourra encore se bourrer la gueule pour l’oublier.

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