« Tout le monde déteste Amazon »

L’âge de faire – octobre 2019 – recueilli par FG –
La multinationale Amazon a annoncé qu’elle allait prochainement implanter son plus grand centre de distribution de France en banlieue lyonnaise. Un collectif a organisé en septembre des rencontres-débats pour initier la lutte contre l’entreprise de commerce en ligne, rencontres intitulées « Tout le monde déteste Amazon« . On en parle avec Jonas, un des organisateurs.
L’âge de faire :   Pourquoi avoir appelé votre évènement « tout le monde déteste Amazon » ?
Jonas :  Notre but est d’engager le plus largement possible un mouvement de résistance à ce projet, en montrant que personne n’a intérêt à ce que Amazon s’implante.  Il y aurait des effets très locaux, par exemple 500 camions de plus par jour dans le secteur (1), comme annoncé par les promoteurs. Et comme souvent, l’argent public financera les aménagements routiers (2). Mais c’est aussi contre l’impact global de l’entreprise, contre le « modèle Amazon », que l’on veut engager le débat et la lutte. Rappelons qu’Amazon est la deuxième plus grande cotation boursière derrière Apple, que son patron est l’homme le plus riche du monde, Que l’entreprise américaine est régulièrement sanctionnée pour avoir contourné le fisc et qu’elle bénéficie pourtant de subventions pour s’implanter, que les conditions de travail dans les entrepôts sont à la limite de l’illégalité, qu’Amazon détruits des millions d’objets neufs invendus afin de réduire ses coûts de stockage (3), ou encore qu’Amazon se développe en tuant le commerce physique. Le développement d’Amazon pose donc aussi la question de la vitalité de nos centre-villes, celle de l’aménagement du territoire, de notre vivre-ensemble.
Le fondateur d’Amazon, Jeff Bezos, est devenu l’homme le plus riche au monde. Sa firme serait-elle en passe de devenir la première capitalisation boursière mondiale, et ainsi dépasser Apple ? (LCI – juillet 2018)
L’âge de faire :  L’an dernier, suite à une mobilisation semblable à la votre, Amazon s’est rapidement désengagé d’un projet de plateforme logistique dans la région nantaise. On voit que l’entreprise américaine est très sensible à son image…
Elle compte en effet beaucoup sur son image souriante, comme son logo (4), pour séduire les consommateurs. Ce côté sympathique est si facile à démonter, si fragile, qu’effectivement, elle semble reculer sans insister dès qu’elle rencontre une opposition locale. Mais ne nous ne y trompons pas :Amazon a les moyens de mettre en concurrence les territoires en faisant du chantage à l’emploi, de tester les différentes possibilités d’implantation, de jouer sur les effets d’annonce. Un entrepôt logistique, ce n’est pas une usine sidérurgique : c’est vite construit, vite déplacé d’un territoire à l’autre. La mise en concurrence en est facilitée.
L’entreprise entretien par ailleurs le secret sur les négociations qu’elle mène, et impose aux promoteurs qui travaillent pour elle de signer des clauses de confidentialité. Cet été, dans l’est lyonnais, un maire a appris  qu’Amazon allait construire cet automne un centre de tri de  34 000 m2 sur sa commune. L’entreprise a déjà ouvert, en 2018, un agence de livraison sur une commune voisine. Le projet contre lequel nous nous battons, qui serait implanté à moins de 10 km des deux autres sites, serait donc la troisième et dernière pierre à l’édifice de l’est lyonnais, mais une pierre de taille : une plateforme géante de 160 000 m2 ! Cela serait le plus grand entrepôt d’Amazon en France, qui compterait 71 quais d’embarquement pour les poids lourds ! On lutte contre la bétonisation des terres, le trafic routier,, mais est-un hasard si Amazon veut s’implanter à deux pas d’un aéroport international ? Il y a donc aussi la question du développement du commerce mondial, incompatible avec les enjeux environnementaux planétaires. 
L’âge de faire :  Combien  d’emplois Amazon a-t-il promis pour cette méga-plateforme ? 
Le promoteur, une multinationale australienne, commanditée par Amazon,  a annoncé entre 1 700 et 2 500 emplois lors de l’enquête publique. Mais comme vous le dites, ce sont des promesses. On est dans le registre de la communication pour obtenir des avantages fiscaux liés à l’implantation, pour inciter les élus à dépenser les millions nécessaires à celle-ci. Pour cette plateforme, il faudra par exemple élargir les routes ou tirer 13 km de lignes électriques : la consommation annuelle du site est estimée à 20 MW par an. Soit deux fois plus que l’aéroport à côté ! 
Si l’on regarde les plateformes logistiques existantes, on s’aperçoit qu’Amazon n’a jamais atteint le nombre d’embauches qu’il avait annoncé. On constate par contre les conditions de travail insupportables dans lesquelles travaillent les salariés. Ces derniers, sur un jour, parcourent jusqu’à 15 km, portent jusqu’à 2 tonnes de colis… Comme l’a souligné le sociologue du travail David Gaboriau, qui est intervenu lors de nos rencontres, « on ne vieillit pas dans un entrepôt d’Amazon« . pour cette raison, il y a énormément de rotation de salariés, ce qui rend difficile l’implantation de syndicats.  Et les rares présents témoignent des pressions qu’ils subissent.  Amazon entretien cette image d’usine où des robots « intelligents » effectuent les tâches les plus pénibles. La réalité, c’est que la logistique a dépassé le BTP, pourtant le leader historique, en terme de nombre d’accidents du travail.
Amazon va enfin arrêter la destruction de ses invendus
Bloomberg / Contributeur / Getty Images
(1) Le projet d’implantation se situe sur la commune de Colombier-Saugnieu, à proximité de l’aéroport de Lyon-Saint-Exupéry.
(2) D’après le maire de Colombier-Saugnieu, le département « examine les ajustements nécessaires concernant la voirie », cité dans Le Progrès du 27 juillet.
(3) Scandale révélé par les Amis de la terre. Lire : Amazon va enfin arrêter la destruction de ses invendus (Capital – 17/08/2019)
(4) Son logo est une virgule en forme de sourire :
Arrivée en 2007 en France, Amazon a inauguré son premier entrepôt, de 70.000 m², à Saran, près d’Orléans (Loiret). En 2010, un nouveau hangar de 36.000 m² est sorti de terre à Montélimar (Drôme). Suivi d’un autre de 50.000 m2 en 2012, à Sevrey (Saône-et-Loire). Un an plus tard, c’est dans le Nord, à Lauwin-Planque qu’Amazon a renforcé son emprise avec un pôle logistique de 90.000 m². Ses véhicules de livraison sillonnent, depuis, le pays. La toile de la multinationale s’étend. Comme le montre la carte qu’à publié Reporterre le 02/07/2019.
Centre où sont stockés et triés les produits. Les employés y réceptionnent, emballent et expédient les commandes.
Sièges des filiales d’Amazon en France.
Agence dite « des derniers kilomètres ». Elle prépare le dernier tronçon d’acheminement de la commande chez les clients.
Entrepôt logistique en construction mais non officialisé par Amazon.
Vers le développement du fret aérien ?

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