Numérisation de l’école : c’est comme ça ?

L’âge de faire, journal alternatif – novembre 2019 – l’édito de Nicolas Bérard –
La lettre est arrivée fin septembre. Signée du président de la Région Paca, Renaud Muselier, elle explique à quel point ce dernier se préoccupe de l’éducation de nos enfants. « On se souvient toute sa vie de son lycée !« , commence -t-il Et il a bien raison. Aussitôt me reviennent en tête ces belles années, les ami-es, les amours, les emmerdes, et tout le toutim. C’est vrai que c’était chouette. Vas-y Renaud, fonce, claque sans compter le fric de la Région pour offrir aux lycéens les meilleures conditions possibles ! Mais dès la cinquième ligne, patatras : « Pour le bien-être des élèves, nous intensifions nos efforts pour faire de nos établissements des modèles, toujours plus innovants, éco-responsables et connectés. »
On commence à comprendre le topo. En guise de bien-être, la Région va coller une tablette entre les mains de tous ses jeunes. C’est à peu près ça… en pire ! « En franchissant les portes du lycée, il (elle) entre dans une enceinte sécurisée, grâce aux équipements de vidéoprotection dans lesquels nous avons investi 30 M€, avant d’être accueilli(e) par l’un des 160 médiateurs de la garde régionale des lycées, chargée de maintenir un climat serein. » Évoluer sous l’œil conjoint de caméras de surveillance et de soldats de la garde impériale – pardon -, de la garde régionale, les adolescent-es ne réclament sûrement que ça pour être serein(es)…
Poursuivons notre lecture. Sitôt installé-e à son bureau, l’étudiant-e va « brancher sa tablette numérique, son nouveau compagnon d’apprentissage au quotidien (…) Il (elle) peut également exploiter tout le potentiel de cet outil car les lycées de la Région Sud sont équipés du Très Haut Débit et 100 % Wi-Fi. » En gros, qu’ils-elles auront franchi le sas de sécurité et montré leurs trognes aux caméras de surveillance, les lycéen-nes vont baigner dans un épais bain d’ondes électromagnétiques afin de pouvoir s’éclater à chaque instant avec leur « compagnon » : une tablette ! 
On imagine que, pour remplacer aussi des livres par un objet connecté, c’est que ce dernier doit être un bien meilleur outil d’apprentissage. Même pas.  L’étude Pisa, réalisée par l’OCDE, le reconnaît malgré elle : lorsque les technologies numériques « sont utilisées en classe, leur incidence sur la performance des élèves est mitigée, dans le meilleur des cas. » Si vous remettez la phrase à l’endroit, cela signifie que, au mieux, les tablettes ne font pas trop baisser le niveau des élèves. Et que la plupart du temps, elle ont un effet négatif.
Alors, pourquoi un tel acharnement à équiper, à grands frais économiques et écologiques, chaque élève d’outils connectés, et ce parfois dès l’école primaire ? Pourquoi ajouter des écrans aux écrans alors que, « en même temps », il est de plus en plus clairement conseillé aux parents de limiter l’exposition aux objets numériques de leurs bambins (1), et aux ondes par la même occasion ? On peut apporter bien des réponses à cette question, mais c’est sans doute l’ex-directrice de la Direction du numérique pour l’éducation qui apporte la meilleure : « Il faut arrêter avec la question de l’efficacité, de l’utilité du numérique. On est dans l’ère du numérique, il faut faire avec. » (2) pourtant, les millionnaires de la Silicone Valley, qui inventent la plupart de ces outils, refusent pour leur part de transformer leurs enfants en chair à tablettes, et les inscrivent dans des écoles qui en sont totalement dépourvues.
Tout cela pour vous dire : si votre (petit-)enfant laisse malencontreusement tomber sa tablette par terre et qu’elle se casse, surtout, ne le disputez pas !
(1) Le ravage des écrans de Manfred Spitzer, ed. L’échappée / sortie le 18/10/2019 / 400 p. – 22 €
Les pathologies à l’ère numérique -Traduit de l’allemand par Frédéric Joly
Résumé : En s’appuyant sur de très nombreuses recherches et études scientifiques internationales, le grand psychiatre et spécialiste du cerveau Manfred Spitzer montre à quel point notre dépendance aux technologies numériques menace notre santé, tant mentale que physique. Elles provoquent chez les enfants et adolescents comme chez les adultes de nouvelles maladies et en rendent d’autres plus fréquentes : baisse des performances cognitives, troubles du sommeil, dégradation des capacités d’attention et de concentration, tendance à l’isolement et au repli sur soi, dépression, disparition du sentiment d’empathie, etc. Et même, chez les plus jeunes, baisse de la motricité et des capacités de perception.
Ce vaste tableau des connaissances scientifiques sur les effets des écrans, enfin traduit en français, a rencontré un immense écho en Allemagne et dans le monde entier où il a provoqué nombre de débats et de prises de conscience. Cette synthèse majeure s’articule à une réflexion critique profonde qui ne se contente pas de lancer l’alerte sur les cyberpathologies. Elle nous apprend aussi à nous en protéger et à agir à titre préventif. Une contribution absolument cruciale pour tenter d’éviter un désastre psychologique et social.
(2) Citée dans une Critique de l’école numérique, un ouvrage collectif coordonné par Cedric Biagini, Christophe Cailleaux et François Jarrige, qui vient de paraître aux éditions l’échappée. On recommande.
sortie le 4/10/2019 / 448 p. / 25 €
Résumé : Plus l’école et l’éducation sont présentées comme étant en crise, plus l’utopie numérique y multiplie les promesses. Les injonctions permanentes à innover, à être optimistes, à individualiser les parcours, à se réinventer, à disrupter… imposent partout le numérique. Même s’il existe une grande variété de situations en matière d’équipements informatiques selon les niveaux et les établissements, l’idée que l’école telle qu’on la concevait jusqu’alors est obsolète et qu’elle doit, coûte que coûte, s’adapter à un monde contemporain ultraconnecté, a triomphé. Ainsi, dirigeants économiques, intellectuels et politiques ne cessent d’appeler enseignants et pédagogues à céder devant l’impératif d’un prétendu progrès technique abstrait, et à s’en remettre les yeux fermés aux apprentis sorciers de la Silicon Valley.
Ces mutations profondes, aux conséquences désastreuses pour notre psychisme et nos sociétés, s’opèrent à grande vitesse dans une sorte d’inconscience générale et d’hypnose collective. Rares sont celles et ceux qui osent s’exprimer publiquement pour remettre en cause ces orientations. Ce livre leur donne la parole et montre que les processus en cours ne sont ni « naturels », ni inéluctables. Enseignants, intellectuels, soignants, parents, syndicalistes… y développent une critique sous forme d’enquêtes et d’analyses sur les soubassements théoriques et les arrière-plans économiques de la numérisation de l’éducation, de la petite enfance à l’université, et témoignent de leurs expériences quotidiennes. Autant de contrepoints qui expriment un refus de se laisser gouverner par des technocrates et autres startupeurs et ingénieurs qui entendent révolutionner nos vies.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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