PIG DATA : Google ta vie

Charlie Hebdo – 20/11/2019 – Jacques Littauer – « Ils m’ont montré un truc incroyable à la bibliothèque : un moteur de recherche qui trouve tout, tout de suite, et c’est gratuit ! Ça s’appelle Google, tu devrais essayer. » Nous sommes en 1999, et ma copine d’alors, en thèse comme moi, va changer ma vie.
A l’époque, on se connecte à Internet avec un modem qui fait « scriitch-bip-bip-bip et bloque la ligne téléphonique. Les moteurs de recherche, lents, très lents, sont bêtes comme leurs pieds : il faut rentrer les bons mots-clés pour avoir une chance, minime, de trouver un truc intéressant. Résultat, on ne trouve rien, ou que des choses publicitaires.
Google est une révolution : il lit tout Internet, et vous renvoie sur les pages qui apparaissent le plus fréquemment lorsque l’on fait la même recherche que vous. (Prenez le temps de vous arrêter sur cette phrase, c’est beaucoup plus malin qu’il n’y paraît). Pour ma thèse, je lis des centaines de textes de la Commission européenne qui changent sans cesse de place sur un site très mal foutu, quand ils ne disparaissent pas complètement. J’écris au siège de la Commission pour les retrouver, aucune réponse. Google me sauve la mise des dizaines de fois. 
Et il est gratuit. La chose me tarabuste sérieusement. Alors que tout devient payant, j’ai accès à la connaissance, le bien le plus précieux d’entre tous, gra-tui-te-ment. Je m’étonne que personne ne s’en étonne. J’ai tort. Comme le dit le dicton : Si c’est gratuit, c’est que c’est toi le produit ». Car alors que j’utilise Google, ce dernier ne reste pas les processeurs ballants et les pixels croisés : le coquin enregistre la moindre de mes actions sur le clavier. Et il revend ces précieuses informations aux camarades capitalistes, qui en profiterons pour m’envoyer des « publicités ciblées ». C’est ainsi que, sans que je bouge de mon canapé, arrivent à mon domicile des livres que je ne lirai jamais et des maillots de rugby trop grands pour moi.
Vingt ans plus tard. Nous sommes en 2019, Google a bien grandi. J’ai un peu grossi. Une recherche menée ce matin sur Internet, via Google, m’apprend que Google bourre les drones de l’armée US d’intelligence artificielle, uniquement « à des fins non offensives« , bien sûr. Le truc est tellement scandaleux que 3 000 salariés de la boîte, qui ne sont pas tous syndiqués à la CGT, ont adressé une pétition au PDG (1).
Mais, surtout, la compagnie de Mountain View s’attaque désormais au marché ultime : la vie. Google vient de passer un accord avec Ascension, une toute petite organisation catholique de santé américaine qui gère 2 600 établissements, dont 150 hôpitaux et 50 maisons de retraite – tout cela sans aucun but lucratif, restons zen (2). La loi américaine permettant ce genre de chose, les patients n’ont pas été informés, mais alors pas du tout du tout, puisque les informations seront utilisées « pour aider l’entité à assurer se missions de santé« . Et ils peuvent dormir tranquille puisque Google tripatouillera leurs données, vitales, « en toute sécurité, et en respectant strictement la vie privée« , promis juré. 
Et ce n’est que le début. L’une des filiales les plus prometteuses de Google s’appelle Calico, pour California Life Company. La page d’accueil du site (calicolabs.com) vous émerveillera, j’en suis sûr. Je vous la traduis… à l’aide de Google Traduction :
« 
Une ex-ingénieure de Google alerte sur les dangers des «robots tueurs» – (Le Figaro – 17 septembre 2019)
(2) « L’accord controversé de Google avec plus de cent hôpitaux aux États-Unis – (Le Monde 12 novembre 2019)
Grâce à sa position dominante sur le marché, Google le leader du secteur bénéficie d’une concentration accrue sur le marché de la publicité en ligne. Vous voulez vous informer ? Il y a l’appli. Vous voulez vous distraire ou vous instruire ? Il y a l’appli. Vous voulez vous faire des amis ? Il y a l’appli. Vous êtes en quête de l’âme sœur, ou juste d’un plan cul ? Il y a l’appli. Vous cherchez un logement, du travail ? Il y a l’appli. Vous voulez vous déplacer ? Il y a l’appli. Vous voulez vous soigner ? Il y a l’appli. Vous voulez manger, boire, lire, écouter de la musique, voir un film, faire de la politique, remplir votre ­frigo, avoir une conversation, courir, chanter, savoir quand pisser, comment dormir, vous réveiller avec le sourire ? Il y a l’appli. Vous ne trouvez pas l’appli ? Il y a Google.  (Gérard Biard ·
Le QG de Google localisé à Mountain View, dans la Silicon Valley, a été élu « meilleur endroit pour travailler aux États-Unis » par le magazine Forbes en 2008. Au Googleplex – contraction des mots « Google » et « complex » – tout est fait pour donner envie au salarié de rentrer le plus tard possible à son domicile. Salle de sport, garderie, restaurant, piste cyclable, commerce… Une véritable ville dédiée au bien-être des cadres de Google, et à leur productivité.

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