Résistons à la reconnaissance faciale

L’âge de faire – décembre 2019 – Fabien Ginisty –
Alors que l’on s’effraie de l’expérimentation chinoise, dans laquelle des caméras reliées à une base de données reconnaissent les individus, Macron et le gouvernement préparent le terrain pour développer le système.
La Chine ambitionne de devenir leader en matière d’intelligence artificielle. Parmi les secteurs qui bénéficient de subventions massives, les caméras de surveillance « intelligentes ». Ainsi une quantité de municipalités expérimentent actuellement la reconnaissance faciale pour « enrichir » le système de crédit social existant (1) : l’individu filmé est noté, sanctionné ou récompensé en fonction de ses actions. Jeter un papier par terre, fumer dans la rue… la caméra intelligente ringardise totalement le policier « physique » et le mouchard du parti : elle détecte systématiquement le moindre comportement, déviant ou pas, dans l’espace public, en le traduisant en données exploitables informatiquement. Le système n’en est bien sûr qu’à ses balbutiements, avec son lots d’erreurs, mais soyons sûrs que la Chine, qui prévoit la généralisation du système d’ici fin 2020, saura le développer « pour une efficacité maximale ». 
France 2 – Envoyé spécial.
Le développement de l’intelligence artificielle est fondamentalement basé sur l’intrusion dans la vie privée, puisqu’il s’agit de recueillir des données personnelles. Ce fameux « big data » est ensuite « mouliné » par des algorithmes pour créer de la « valeur ajoutée » : applications marchandes ou, dans le cas des caméras dans l’espace public, suppression des postes de fonctionnaires de police. Ces données personnelles peuvent être « bidonnées » par les individus, et segmentées entre plusieurs avatars, numéros de téléphone, appareils de connexion, identifiants administratifs multiples, adresse e-mail… Grâce à la reconnaissance faciale et aux autres données biométriques, on fait le lien définitif entre les données et l’humain véritable qu’il y a derrière. C’est ce que les professionnels appellent « l’identification forte ». La valeur marchande des données s’envole, et les policiers chinois applaudissent des deux mains.
Des expérimentations en France
Bref, on l’aura compris, la reconnaissance faciale, c’est l’avenir de l’intelligence artificielle. Et l’avenir de l’intelligence artificielle, c’est l’avenir tout court : « L’intelligence artificielle sera le premier champ d’application du fonds pour l’innovation de l’industrie« , a déclaré notre Président en mars 2018 lors de son discours  » #AIForHumanity (2). Et d’annoncer dans la foulée 1,5 milliard d’euros d’aides au secteur. Selon Le Monde, plus d’une dizaine de projets de recherches ont déjà été menés en France ces dix dernières années. pour entraîner les algorithmes, industriels et forces de l’ordre n’ont pas accès aux données biométriques des passeports, mais ils disposent déjà,d’un échantillon consistant de 7 millions de personnes enregistrées dans le fichier des antécédents judiciaires. Cela ne suffit apparemment pas. 
A Singapour pour contourner la Commission nationale informatique et liberté (Cnil)
« Des chercheurs français travaillent avec des homologues chinois pour perfectionner leurs algorithmes de reconnaissance faciale grâce aux bases de données des visages de citoyens chinois« , révèle l’association La quadrature du net (3). Encore, « le gouvernement français passe un accord de sécurité avec celui de Singapour afin qu’un industriel français puisse passer outre les réserves de la Cnil et expérimente le scan en temps réel sur les visages d’une foule« .
Et oui, le problème, c’est la réglementation française : « Le temps aujourd’hui nécessaire pour tester une innovation en France, qu’il s’agisse d’un algorithme ou d’un médicament, n’est pas toujours et tout à fait celui d’une économie de l’innovation », a fait remarquer, non sans ironie, le président Macron en mars 2018  (lors de l’event #AIForHumanity).
il y a donc urgence : « Expérimenter la reconnaissance faciale est nécessaire pour que nos industriels progressent« , alerte Cédric O (4), secrétaire d’État au numérique., le 14 octobre dernier. On comprend mieux l’utilité de l’application Alicem lancée en juin par le ministre de l’intérieur, qui sert à se connecter aux services publics grâce à la reconnaissance faciale. Mais ça ne suffit, apparemment, toujours pas.
Technopolice
Cédric O appelle, avec les policiers et les industriels , à un « débat citoyen » au sujet de la reconnaissance faciale. Un projet de loi pour « assouplir » la protection des libertés publiques serait-il dans les cartons ?
Tandis que le Président, toujours dans son fameux discours, nous exhorte de « ne pas avoir peur » du futur que nous promet l’intelligence artificielle, San Francisco a décidé, elle, d’interdire purement et simplement la reconnaissance faciale à des fins policières. C’était en mai. En France, la Quadrature du net et d’autres associations lancent la résistance avec Technopolice (5). L’association écrit : Est-ce le monde que nous voulons ? Cette société sans contact, cette société qui a peur de la parole et de l’engagement physique des uns avec les autres est une société déprimée, qui ne s’aime pas. Il est permis d’en vouloir une autre. Elle commence par interdire la reconnaissance faciale.« 
(1) « Chine, tout est sous contrôle », émission Envoyé spécial, diffusée le 10 octobre sur France 2-
(2)  Discours du Président de la République sur l’intelligence artificielle – 29 mars 2018 –
(3) Ce que nous avions à dire à ceux qui bâtissent la technopolice – La Quadrature du net – 27 septembre 2019 –
(4) Cédric O : « Expérimenter la reconnaissance faciale est nécessaire pour que nos industriels progressent » – 14 octobre 2019 – L’application pour smartphone « Alicem » doit permettre de prouver son identité en ligne de manière sécurisée pour accéder ensuite aux services administratifs depuis FranceConnect.
(5) Sur le site de Technopolice : Découvrez les projets en cours près de chez vous / Apprenez-en plus sur le technologies sécuritaires impliquées dans la Safe City / Renseignez-vous sur les acteurs privés qui s’enrichissent en sapant nos libertés…

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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