Artiste, activiste et ingénieur italien, Salvatore Iaconesi a créé un site participatif consacré à sa tumeur au cerveau pour cesser de n’être qu’« un patient » et pour être sauvé

Le Monde  24.08.13
 En hackant son propre cancer et en partageant sa cure en open source, Salvatore Iaconesi a sauvé sa vie d’homme, créé une performance artistique hors norme, diffusé ses idées et créé un espace d’interaction inédit pour des milliers de malades et de praticiens.
« On a des propositions de traitement venant du monde entier, des milliers d’expériences personnelles, des plus universelles aux plus intimes. On a fait tomber les barrières. »

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 ILS CHANGENT LEUR MONDE – Le hacker, la Toile et le « crabe »

Les hackers sont rarement perçus comme utiles à la société. Ils évoluent dans un monde parallèle, composé de lignes de code et d’avatars, dont la portée est mal perçue. Salvatore Iaconesi, artiste, militant et ingénieur italien, donne une autre définition de son activité favorite. Pour lui, le « hack », c’est « comprendre comment les choses fonctionnent et essayer de les faire travailler d’une manière qui est bonne pour soi ou pour la société ». En hackant son propre cancer et en partageant sa cure en open source, Salvatore Iaconesi a sauvé sa vie d’homme, créé une performance artistique hors norme, diffusé ses idées et créé un espace d’interaction inédit pour des milliers de malades et de praticiens. Rien de moins.
« J’ai commencé à hacker l’espace public à 12 ans avec mon skateboard : quand vous êtes sur votre planche, tout est ludique, le moindre banc pourri devient un endroit magique pour des acrobaties. C’est le skate qui m’a montré que les éléments peuvent être détournés et qu’on peut beaucoup en attendre dès lors que l’on s’applique. » Adolescent, Salvatore Iaconesi découvre les logiciels libres, « avec lesquels vous pouvez créer des choses merveilleuses à partir de rien », et rejoint le mouvement des squatters. Toujours la même idée : « Récupérer une part de l’espace public pour réinventer des choses, des façons de vivre. »
Doué, Salvatore Iaconesi devient ingénieur en robotique. « J’ai eu cette vie totalement nomade, guidé par ce que j’avais envie de faire à ce moment-là. Je veux découvrir le monde et m’essayer à des choses qui sont importantes pour moi. Au Brésil, j’ai monté une plate-forme collaborative de création de jeux. Au Danemark, j’ai travaillé sur un robot de sauvetage après les tremblements de terre. En Malaisie, j’ai refait du jeu vidéo. »

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Amoureux, Salvatore Iaconesi crée avec Oriana, sa petite amie, un enfant 100 % numérique, une intelligence artificielle qui évolue entre projet artistique et conférences à l’ONU sur les droits numériques. Son nom : Angel F. « Mon but, c’est le changement profond, anthropologique. Le politique, c’est trop restrictif. » Ils lancent le mouvement Art is open source, qui « explore les mutations de l’être humain au contact des réseaux et des technologies digitales ». Salvatore Iaconesi travaille avec les municipalités italiennes, les artistes, les universitaires, enseigne à Rome et à Florence le design interactif et les pratiques cross media.
Repéré par TED, il intègre le programme qui permet à « 40 talents ayant fait la preuve d’un courage exceptionnel et d’un accomplissement inhabituel » de présenter leurs idées pendant les conférences mères.
A son retour de TEDGlobal, à l’été 2012, les médecins lui découvrent une tumeur au cerveau. « Ma vie s’arrête. Tout le monde change autour de moi. Je deviens une succession de diagnostics, de dosages, de dates d’examen. Une maladie sur pattes. » Salvatore Iaconesi se voit refuser l’accès aux images de sa tumeur : « Elles n’étaient pas faites pour moi mais pour des médecins qui se les passaient entre eux au gré d’un protocole auquel je ne comprenais rien. Je n’étais plus qu’un patient. »
Il se rebelle, signe une décharge, récupère son dossier sous forme numérique, rentre chez lui, ouvre son ordinateur. Les fichiers sont enregistrés sous un format non partageable. Le contenu est incompréhensible pour le commun des mortels. « La médecine est un processus industriel efficace mais qui ne travaille qu’à partir d’une partie très simplifiée de moi-même. Elle occulte ma complexité psychologique, émotionnelle. Un traitement ne peut se limiter à la seule tumeur et aux seules données. »

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Il se sent impuissant. Alors il va puiser dans sa conviction la plus profonde : l’open source. « J’ai converti mon dossier et l’ai publié dans un format accessible à tous sur un site dédié : La Cura. Et j’ai demandé à chacun, pas seulement la médecine, de me sauver moi. » Il lance un appel vidéo : « Prenez les informations sur ma maladie et donnez-moi un traitement : créez une vidéo, une oeuvre d’art, une carte, un poème, un jeu, ou essayez de trouver une solution à mon problème de santé. Artistes, designers, hackers, scientifiques, médecins, photographes, vidéastes, musiciens, écrivains. N’importe qui peut me donner un traitement. »
Les artistes sont les premiers à s’emparer des données. Les médias italiens s’y intéressent. « Alors, les gens m’ont envoyé leur histoire, leur propre dossier médical. Des professeurs de médecine sont rentrés dans la conversation, faisant des suggestions, débattant entre eux et puis avec d’autres praticiens de toutes sortes de médecines, de tous pays. » La croissance non contrôlée de La Cura suit, puis dépasse celle de son cancer. Le site reçoit 80 000 messages en trois semaines, 500 000 contributions au bout d’un an. « Il y en a eu tellement que les gens se sont organisés entre eux, en sous-groupes, par thème. »
Le site se dote d’outils pour filtrer, mettre en lien les informations, des cures les plus dangereuses aux plus efficaces, fondées sur l’expérience et les savoirs des participants : « On a des propositions de traitement venant du monde entier, des milliers d’expériences personnelles, des plus universelles aux plus intimes. On a fait tomber les barrières. » Les artistes s’en mêlent. Il en est convaincu : La Cura « est une solution parce que cela génère du dialogue, cela annule ce sentiment de fausse sécurité, promeut les approches critiques et comparatives, et par-dessus tout la quête de solidarité et de dignité ».
Avec ces milliers d’informations, Salvatore Iaconesi a pu sélectionner son protocole, son médecin, le type d’intervention qu’il allait subir. « Avant de démarrer ce projet, j’étais le cancer 40 268. Là, je suis à nouveau Salvatore, même aux yeux des médecins. Avec toute ma complexité. Et je crois que je vais bien. »
Flore Vasseur

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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