Cadeaux et niches fiscales : des machines à inégalités

Les Economistes Atterrés – Audit de la dette publique de la France –
Les nombreux cadeaux fiscaux dont bénéficient grandes entreprises et riches particuliers se multiplient et la note est payée au final par les ménages ordinaires. Ainsi c’est l’augmentation du taux normal de la TVA au 1er janvier 2014 à 20 % qui doit financer le Crédit d’Impôt Compétitivité Emploi. De même ce sont les coupes de 50 milliards dans les dépenses publiques qui doivent financer de nouvelles baisses de cotisations dans le cadre du “Pacte de compétitivité” décidé début 2014. Cela génère un fort mécontentement et alimente ce qu’il est convenu d’appeler le ras le bol fiscal, largement exploité par les tenants du libéralisme, adeptes du “trop d’impôt tue l’impôt”.
La fiscalité est ressentie comme illégitime lorsqu’elle est injuste. Lorsqu’elle vient creuser les inégalités, la fiscalité est source d’injustice sociale. La contrepartie de la fiscalité sous forme de services publics, protection sociale, s’amenuise aussi avec la logique gouvernementale constante de baisse des dépenses publiques au nom de la réduction des déficits public. Or, les allègements fiscaux représentent aussi un manque à gagner considérable pour le budget de l’État.
Baisser l’impôt sur le revenu augmente les inégalités
Depuis nombre d’années, on constate la baisse générale de la progressivité de l’impôt sur le revenu. En 1982, le taux marginal maximum (taux de taxation de la tranche la plus élevée) du barème était de 65 %, il était encore supérieur à 50 % en 2000, il est passé à 40 % en 2007 ; puis est enfin remonté à 45 % à partir de 2013.
Les baisses de barème intervenues sur la période 2000/2011 ont eu un impact considérable. Ces mesures ont eu deux effets : réduire le rendement et la progressivité de cet impôt. En effet, les baisses des taux du barème ont essentiellement profité à une minorité de contribuables sans pour autant relancer la croissance, ce qui était (et ce qui est du reste toujours) l’objectif officiellement affiché à chaque nouvelle mesure fiscale.
blog-avaler.jpgAinsi, les baisses intervenues entre 2002 et 2007 ont bénéficié très majoritairement aux 10 % des ménages les plus riches. La Cour des comptes a estimé que : 10 % des contribuables ont bénéficié de 69 % (en montant global) de la baisse de 5 % intervenue en 2002, 4,5 % des contribuables ont bénéficié de 56 % de la baisse de 1 % intervenue en 2003 et 2,9 % ont bénéficié de 45 % de la baisse de 3 % intervenue en 2004. La distribution des revenus étant inégalitaire, les baisses de l’impôt sur le revenu, qui est progressif donc impose plus lourdement
les hauts revenus, profitent mécaniquement à ceux-ci. Ces mesures ont un coût : 2,55 milliards d’euros pour la baisse de 5 %, 550 millions d’euros pour celle de 1 % et 1,63 milliard d’euros pour celle de 3 %. De son côté, la refonte du barème de 2007 (passage de 7 à 5 tranches du barème) aura eu un coût de 4 milliards d’euros.
Ces baisses se sont révélées tout à la fois inefficaces et injustes :
– leur bénéfice a été largement concentré sur les contribuables les plus aisés,
– elles n’ont pas eu d’impact économique positif (elles ont favorisé les revenus dont la propension à épargner est la plus forte et donc, par symétrie, dont la propension à consommer est la plus faible),
– elles ont généré un manque à gagner important pour les finances publiques qui a contribué à creuser les déficits (et, par suite, la dette publique).
Des niches opaques et coûteuses
Les niches fiscales (appelées dépenses fiscales en Finances Publiques) sont des mesures dérogatoires par rapport à des normes fiscales de référence (le droit commun) engendrant des pertes de recettes pour l’Etat et permettant à leurs bénéficiaires de payer moins d’impôts. Leur objectif est varié. Certaines ont un but louable (exonération des intérêts du livret A, réduction d’impôt pour frais de dépendance), d’autres sont plus contestables. Les niches fiscales qui sont le plus souvent pointées du doigt dans le débat public sont celles qui sont employées dans les schémas d’optimisation ou de défiscalisation. Elles peuvent conduire à une véritable évasion fiscale par utilisation de dispositifs légaux qui sont détournés de leur objet dans le but d’éluder l’impôt.
Il y a plus de 500 niches fiscales représentant un coût de près de 150 Mds € : dont 70 Mds€ de niches recensées par le Projet de Loi de Finances 2013, et autant de niches fiscales déclassées (75 Mds€), qui ne sont donc plus recensées en tant que telles (mais existent toujours !), ou ne l’ont jamais été.
Les niches fiscales les plus coûteuses (coût annuel) :
– Crédit d’impôt sur la compétitivité des entreprises : 20 Mds€
– Dispositifs dérogatoires à la TICPE (taxe intérieure de consommation des produits
énergétiques) : 5,7 Mds€
– Crédit d’impôt recherche : 5 Mds€
– TVA au taux réduit sur les travaux de rénovation : 5 Mds€
– TVA au taux réduit sur la restauration : 3 Mds€
– Crédit d’impôt pour l’emploi d’un salarié à domicile : 3,9 Mds€
– Niche Copé (exonération de plus-value sur cessions de filiale) : 2 à 5 Mds€
– Exonération et fiscalité réduite sur l’assurance-vie : 3 Mds€
Le CICE
Le gouvernement Hollande a créé la niche fiscale la plus coûteuse par une nouvelle mesure censée améliorer la compétitivité par l’abaissement du coût du travail : le crédit d’impôt pour la compétitivité des entreprises (CICE) de 20 Mds€ par an, sur les salaires inférieurs à 2,5 fois le SMIC. Le CICE diminuera le rendement de l’impôt sur les sociétés et de l’impôt sur le revenu (bénéfices industriels et commerciaux, bénéfices non commerciaux et bénéfices agricoles). Il s’agit de réduire le coût du travail mais la nouveauté est qu’il s’agit là d’un allègement d’impôt (niche fiscale) et non de charges sociales (niche sociale) : il pèse directement sur le budget de l’Etat (le budget de la sécurité sociale n’est pas concerné). Afin de compenser cette perte budgétaire pour l’Etat, le gouvernement a décidé l’augmentation globale de la TVA. Au 1er janvier 2014, la TVA au taux normal passe de 19,6 % à 20 % et la TVA au taux intermédiaire passe de 7 % à 10 %, le taux réduit de TVA à 5,5 % reste inchangé, tandis que les dépenses publiques sont réduites de 10 Mds€ pour compléter le financement du CICE. L’addition salée est donc payée au final par les ménages (hausse des prix à la consommation, moins de services publics). Le tout sans contrepartie exigée des entreprises.
Le Crédit d’Impôt Recherche
Créé en 1983, réformé en 2008, ce crédit d’impôt réservé aux entreprises est égal à 30% de leurs dépenses de recherche et de développement jusqu’à 100 millions d’euros (5% au-delà). Selon les tenants du libéralisme, le crédit d’impôt entraîne après plusieurs années une hausse des investissements privés. Son coût très élevé (autour de 5 milliards€ par an) et la question de son efficacité réelle au regard de son coût, fait débat. En 2012, le Conseil des Prélèvements obligatoires s’est prononcé en défaveur de la création d’un crédit d’impôt innovation et a proposé de réformer le dispositif du CIR “en délimitant plus clairement la frontière entre les dépenses éligibles et celles qui ne doivent pas l’être, en améliorant le contrôle sur les dépenses engagées, notamment sur les dépenses de personnel, en rendant plus efficace la dépense”. Ce sont généralement les grandes entreprises qui sont les principales utilisatrices du CIR. Le gouvernement Hollande vient de donner une nouvelle extension au crédit d’impôt recherche à certaines dépenses d’innovation en faveur des PME (loi de Finances d’octobre 2012). Les questions de son coût au regard de son efficacité, et celle de son contrôle, perdurent…
Les niches anti-écologiques
Les dispositifs dérogatoires relatifs à la taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques (ex TIPP taxe intérieure sur les produits pétroliers) comprend plusieurs dispositifs dérogatoires pour un total de 5,7 Mds€. La niche fiscale la plus importante de la TICPE est le gas-oil sous condition d’emploi, qui concerne le secteur de l’agriculture et le BTP (2 Mds€). Les autres dispositifs dérogatoires à la TICPE sont relatifs au transport de marchandises, aux taxis, et aux biocarburants.
Outre le coût très élevé de tels dispositifs dérogatoires, se pose la question de l’absence de toute politique environnementale, en accordant de tels avantages financiers à des secteurs pour leur consommation de gas-oil alors qu’ils engendrent émissions de CO2 et autres particules… Sans compter l’encouragement discutable apporté aux biocarburants (ils génèrent des cultures qui viennent se substituer aux cultures vivrières) .
La “niche Copé”
Créée en 2004, la niche fiscale dite “Copé”, du nom du Ministre du budget qui la fit voter, a beaucoup fait parler d’elle. Il faut avant tout rappeler que cette “niche” est une exonération des plus-values sur cession de filiales et de titres de participation à long terme (c’est-à-dire détenus depuis plus de 2 ans) bénéficiant aux sociétés (le dispositif s’est progressivement mis en place : le taux d’imposition de ces plus-values est tout d’abord passé de 19 à 15 % à partir des exercices ouverts à compter du 1er janvier 2005, puis à 8 % à partir du 1er janvier 2006 avant une exonération à partir du 1er janvier 2007).
En dépit de la polémique sur l’utilité et le coût budgétaire, cette niche bénéficie quasiexclusivement aux grands groupes (96 % de l’économie d’impôt profite en effet à 250 grandes entreprises), elle s’avère également coûteuse pour les finances publiques. L’avantage que procure cette niche a été réduit par le gouvernement Hollande, mais elle n’a pas disparu.
Baisse de l’impôt sur les sociétés : injuste et sans contrepartie
Le gouvernement vient de décider d’abaisser le taux de l’impôt sur les sociétés de 33 1/3 % à 28 % d’ici à 2020, sans chiffrer le manque à gagner pour l’Etat (Rappelons qu’en 1985, le taux de l’impôt sur les sociétés était encore à 50 % puis il a subi des baisses successives). Pourtant, les grands groupes ne supportent qu’un taux réel d’imposition à l’impôt sur les sociétés de 8 % en moyenne (selon le rapport du Conseil des prélèvements obligatoires de 2009) grâce à l’utilisation de nombreuses mesures dérogatoires, sans compter l’évasion fiscale dans les paradis fiscaux. Ces grandes entreprises bénéficient en effet de régimes d’imposition à l’impôt sur les sociétés très favorables tels le régime de groupe de sociétés ou celui du report en arrière de déficit qui permet à ces entreprises de se faire restituer l’impôt antérieurement payé. Les PME (taux réel d’imposition : 22 %), et TPE (taux réel d’imposition : 28 %) payent, elles leur écot… Cette baisse de l’IS est accordée sans contrepartie. Cela augmentera la part de bénéfice à distribuer, et la rémunération des actionnaires…
Qui doit payer la facture ?
Dans tous les cas de figure, il est légitime que les entreprises privées nationales ou étrangères ainsi que les ménages les plus riches qui détiennent des titres de ces dettes supportent le fardeau de l’annulation ou de la réduction de la dette car ils portent largement la responsabilité de la crise, dont ils ont de surcroît profité. Le fait qu’ils doivent supporter cette charge n’est qu’un juste retour vers davantage de justice sociale. Il est donc important d’identifier les détenteurs de titres afin d’indemniser parmi eux les citoyens et citoyennes à faibles et moyens revenus. Il conviendra en effet de protéger les petits épargnants qui ont placé leurs économies dans des titres publics ainsi que les salariés et les retraités qui ont vu une partie de leurs cotisations sociales (retraite, chômage, maladie, famille) placée par les institutions ou les organismes gestionnaires dans ce même type de titres.
La restructuration de la dette peut prendre diverses formes, non exclusives les unes des autres, et entre lesquelles un débat démocratique devrait pouvoir choisir.
Mesure No.1 : une annulation de tout ou partie de la dette illégitime (“haircut”).
Mesure No.2 : un allongement substantiel des durées de remboursement et un plafonnement des taux d’intérêt
Mesure No. 3 : Un impôt exceptionnel progressif sur les 10 % (ou les 1%) les plus riches, dont les recettes serviraient à rembourser par anticipation une partie de la dette.
Ce type de mesure, qui peut paraître radical, est pourtant évoqué dans un rapport récent du FMI19 sous forme d’un impôt “à un coup” (one off) sur la richesse privée ; il faudrait prévoir (ce que ne fait pas le FMI) un seuil protégeant les petits épargnants.
Sortir de l’emprise des marchés financiers
blog-reveil-peuple.jpgL’objectif n’est pas de réduire à zéro le déficit. Il est de respecter la véritable “règle d’or” des finances publiques qui stipule qu’il est légitime de financer les investissements d’utilité publique par le déficit20. La réduction du déficit public n’est donc pas un but en soi. En effet, le déficit peut être utilisé pour relancer l’activité économique et réaliser des dépenses afin d’améliorer les conditions de vie des victimes de la crise.
Une fois l’activité économique relancée, la réduction des déficits publics doit se faire non pas en réduisant les dépenses sociales publiques, mais par la hausse des recettes fiscales, en luttant contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscales et en taxant davantage les revenus des grandes entreprises, le patrimoine et les revenus des ménages riches, les transactions financières : c’est un choix de société.

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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