L’âge de faire – 27 novembre 2013
Les travailleurs détachés du nucléaire
Le nucléaire à la pointe du dumping social ? Deux affaires ont déjà révélé que les chantiers de l’industrie nucléaire, financés par des fonds publics, n’échappent pas aux stratégies des entreprises pour payer moins de charges sociales.
Confiés à Vinci et Razel-bec, les travaux de construction d’Iter à Cadarache (13) devraient s’intensifier dans les mois
Qu’en sera-t-il d’Iter, où 3 000 ouvriers sont attendus ?
Véhicules de location, plaques d’immatriculation étrangères… Christian Ribaud et Alain Champarnaud ont les yeux qui traînent sur le parking flambant neuf du réacteur expérimental Jules-Horowitz, au Commissariat à l’énergie atomique (CEA) de Cadarache, entre Manosque et Aix-en-Provence. Parmi les voitures et les camionnettes, ils cherchent à repérer celles qui, peut-être, servent à transporter des travailleurs victimes de pratiques illégales. Ils viennent ici régulièrement, distribuant des tracts, accostant des ouvriers qui ne parlent pas toujours français et qui ont peur de s’attarder. « Le seul moyen d’entrer vraiment en contact serait de les voir chez eux », estiment-ils.
On a essayé de les suivre, mais ils nous ont semés dans les virages.
L’industrie nucléaire, ce n’est pas seulement de la recherche et de la production d’énergie menées par des ingénieurs, des scientifiques et des techniciens. C’est aussi, pour construire chaque nouveau réacteur, des centaines d’ouvriers en bâtiment, employés par de grandes entreprises et par une cascade de sous-traitants. Ces travaux sont en général inscrits sous le statut de « chantier clos et indépendant », qui s’applique dans l’ensemble du BTP dès lors que plusieurs entreprises travaillent en même temps sur le même site. Ce statut a pour objectif affiché d’éviter les accidents en coordonnant les mesures de sécurité, mais il interdit aussi l’entrée « à toute personne extérieure au chantier, y compris les représentants du personnel », regrette Alain Champarnaud. « Ça permet de cacher beaucoup de choses. » La réglementation du BTP se superpose ainsi à la culture du secret de l’industrie nucléaire, pour former une double barrière à laquelle se heurtent les syndicalistes.
Des Portugais sans salaire depuis deux mois
Jeune retraité, Christian Ribaud a travaillé comme technicien pour des filiales d’Areva, d’abord dans le Haut-Doubs, pour une entreprise de connectique, puis à Cadarache, où il a intégré il y a une dizaine d’années un atelier de fabrication de combustible nucléaire pour la marine. Son camarade Alain Champarnaud est ingénieur au CEA où il fait figure de « drôle d’oiseau », avec ses longs cheveux blancs et son refus de légitimer à tout prix la branche sur laquelle il est assis… Tous deux se sont connus à l’Union locale CGT de Cadarache.
Ils ne s’étaient jamais penchés sur le sort des ouvriers du bâtiment, avant que neuf travailleurs portugais d’origine africaine ne viennent frapper à la porte de la CGT, en mai 2010. Embauchés à Lisbonne, ces intérimaires travaillaient sur le chantier du réacteur Jules-Horowitz, n’avaient pas été payés depuis deux mois et s’entassaient dans un appartement qu’ils louaient une petite fortune à leur employeur. La société Samt, qui assurait le ferraillage du béton armé sur le chantier, venait de leur donner brusquement congé alors que leurs contrats couraient jusqu’en septembre. « Ils n’avaient rien à manger et fréquentaient les Restos du cœur », se souvient Christian.
On a négocié que leurs salaires soient payés jusqu’en septembre. Ce groupe de travailleurs ne s’est pas laissé faire parce que l’un des ouvriers parlait français et a décidé de se battre, mais combien d’autres rentrent chez eux sans rien dire ? L’analyse de leurs bulletins de salaire a attiré notre attention sur le dumping social.