Sarkozy et la stratégie du kamikaze

Yes They Can / l’Express – 25 avril 2012
Aller jusqu’au bout de sa logique, quitte à laisser un champ de ruines derrière lui. C’est l’impression que donne Nicolas Sarkozy en cette fin de campagne. En un seul déplacement, le 24 avril 2012, tenu ironiquement à Longjumeau, la ville de  Nathalie Kosciusko-Morizet, auteure de Le front antinational, Nicolas Sarkozy a réintégré le FN dans le jeu républicain, convoqué les « racines chrétiennes » de la France et les racines pétainistes de la Fête du travail. Le FN est « compatible avec la République ». Cette phrase seule, prononcée à Longjumeau, symbolise la fin d’une époque. La fin d’un tabou. Plus rien ne sépare aujourd’hui la droite républicaine du FN. C’est un évènement politique majeur, dont on a pas fini de mesurer les conséquences. 
La séparation avait déjà été mise à mal par la création du Ministère de l’identité nationale, par le débat sur l’identité nationale, par les déclarations successives de Brice Hortefeux, d’Eric Besson et de Claude Guéant.  Une brèche avait déjà été ouverte au sein même de la majorité UMP, avec la création de la Droite populaire, rassemblant une quarantaine de députés, sous l’autorité d’un ministre, Thierry Mariani, assisté de figures médiatiques, Lionel Lucca et Eric Ciotti. Le score de Marine Le Pen – qui avec 17,90% des suffrages exprimés totalise 950 000 voix de plus que son père en 2002, sur son seul nom – a transformé cette brèche en avenue.
Sauf miracle, on le sait, Nicolas Sarkozy devrait perdre cette élection. Il n’a pas réussi à prendre la tête du premier tour, comme il l’espérait. Tous les sondages le donnent perdant au second tour. La gauche bénéficie d’une dynamique dans l’opinion depuis la primaire PS. Les représentants des autres partis de gauche, Jean-Luc Mélenchon comme Eva Joly, se sont prononcés sans aucune ambiguïté, voire avec force, pour le candidat socialiste. Pour l’emporter le 6 mai, Nicolas Sarkozy devra réunir sur son nom 100% de ses électeurs du 22 avril, 80% du vote Le Pen, 60% du vote Bayrou, 100% des électeurs de Nicolas Dupont-Aignan et 1% des abstentionnistes. Les derniers reports de voix calculés au soir du 22 avril par TNS Sofrès font état de reports de 34% des voix de Bayrou et 45% des voix de Le Pen. On est loin du compte.
Mais le plus dangereux pour la droite n’est pas – ou n’est plus –  de perdre l’élection présidentielle. Le plus dangereux, ce sont les élections législatives. Tous les parlementaires UMP ont retenu un chiffre au soir du 22 avril : 353. C’est le nombre de circonscriptions dans lesquelles le FN serait susceptible de se maintenir au second tour des  législatives des 10 et 17 juin prochains. 353 triangulaires. Un cauchemar pour l’UMP.
En réaction, Alain Juppé s’est dit prêt lundi « à tout faire pour que l’UMP garde sa cohésion, parce que reconstituer, pardon de dire les choses un peu brutalement, le RPR et l’UDF, c’est dix ans d’échec pour ce qui serait alors l’opposition ».  »Ce qui compte, c’est pas l’avenir de Nicolas Sarkozy, encore moins l’avenir de l’UMP, ce qui compte c’est l’avenir du pays, où voulons-nous aller, nous, les Français« , l’a recadré, sèchement, Nicolas Sarkozy. L’ancienne ministre des Sports, ancienne proche de Nicolas Sarkozy, Chantal Jouanno a déclaré de son côté « craindre que la droitisation ne soit qu’un mirage douloureux« . Nouveau recadrage. La situation en est à un tel point que Nicolas Sarkozy a demandé mardi aux parlementaires de l’UMP et du Nouveau Centre de ne pas évoquer le problème des triangulaires avec la presse. De son côté, la Droite populaire pousse de la voix et se plaint de ne pas être assez entendue. Thierry Mariani n’exclut pas une alliance avec le FN quand il déclare dans une interview à Atlantico :
« Une alliance entre une partie de l’UMP et le FN est-il possible, notamment aux législatives ?
Thierry Mariani : Je fais partie de ceux qui n’ont jamais prétendu que Marine Le Pen était fasciste, nazie ou je ne sais quoi. Je la mets au même niveau que Jean-Luc Mélenchon : elle a dit un nombre d’énormités invraisemblables dans la campagne, mais rien d’anti-démocratique ou anti-républicain. »
A la décharge de Nicolas Sarkozy, la situation est d’une complexité extrême pour lui, comme pour son camp. Marine Le Pen mise sur un échec du président sortant et une explosion de l’UMP. Elle espère récupérer le leadership sur la composante « dure » de l’UMP. Elle se prépare d’ailleurs à présenter des listes « Rassemblement bleu Marine » aux législatives. Des listes qui pourraient attirer – pourquoi pas ? – des élus de la Droite Populaire. De son côté, François Bayrou a aussi intérêt à l’échec de Nicolas Sarkozy, pour récupérer le centre. Il en rêve depuis 2007. Ses adversaires d’hier, Jean-Louis Borloo et Hervé Morin, sortiraient nécessairement affaiblis de la défaite. Il ne lui est donc pas interdit, à lui non plus, d’espérer un leadership. Sans compter les divisions internes et la guerre de succession qui se profile à l’UMP. La droite a perdu le Sénat, une défaite historique. Elle est en passe de perdre la présidentielle, puis les législatives.
Au bout de cette stratégie kamikaze de Nicolas Sarkozy, il y a pour la droite le spectre d’une défaite sans précédent sous la Cinquième République. François Hollande, qui a été tant méprisé par ses adversaires mais aussi dans son propre camp, est en position d’offrir à la gauche française une victoire  dont même François Mitterrand n’aurait pu rêver. La gauche est en passe, le 17 juin, d’avoir en mains tous les leviers du pouvoir. Une revanche extraordinaire.

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