Fukushima : « Tout va bien, rentrez chez vous. »

Charlie Hebdo – 14/09/2016 – Patrick Chesnet – 

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« Tout va bien, rentrez chez vous. » C’est en gros le message que cherche à faire passer le gouvernement de Shinzo Abe, le Premier ministre japonais, aux évacués de Fukushima Daiichi. Pas vraiment crédible alors que sur place, rien ne semble évoluer.
Les zones les plus contaminées après la catastrophe nucléaire de mars 2011 seront à nouveau habitables dès 2022. Ainsi en a décidé le gouvernement japonais le 31 août dernier. Un optimisme partagé par les dirigeants de Tepco – l’opérateur de la centrale – qui assurent que la situation à Daiichi est désormais sous contrôle, que les opérations de décontamination vont bon train, et qui accusent la presse japonaise, pourtant peu féroce en la matière, de calomnies.
Il suffit de prendre la seule route autorisée, à condition de ne pas s’arrêter dans la « zone d’exclusion », pour comprendre que, sur le terrain, rien n’a vraiment changé depuis le 11 mars 2011. Ou presque. Maisons abandonnées qui commencent à s’effondrer ou à disparaître sous la végétation, commerces aux rayons recouverts de poussière, bâtiments administratifs, hôpitaux et écoles dans un état similaire… Il ne reste dans ces territoires que des villes fantômes, ou les seuls à oser s’aventurer sont désormais les sangliers et autres bestioles plus ou moins devenues sauvages, qui prolifèrent depuis qu’ils ne subissent plus la présence humaine.
Quant à la décontamination, la question est  loin d’être réglée. Certes de efforts ont été faits. Les autorités en veulent pour preuve les 9,7 milliards de dollars consacrés aux opérations de nettoyage dans la zone concernée, mais aussi les quelques 11 millions de « conteneurs flexibles » (pouvant chacun renfermer jusqu’à 1 m3 de terre contaminée) déjà récupérés. Et les sacs, dont le nombre ne cesse cependant d’augmenter de jour en jour, entreposés sur des milliers de sites. Quand ils ne sont pas tout simplement laissés sur le bord des routes, emportés par les inondations ou enterrés. Car personne ne sait vraiment quoi en faire. Les brûler ? Impossible. Cela polluerait trop l’atmosphère. Alors on entasse et on gratte.
Économie locale ravagée.
On risque d’entasser et de gratter encore longtemps. Car seule une mince couche de sol a été retirée et, surtout, l’essentiel de ces opérations s’est concentré dans les zones urbaines, délaissant les forêts et les montagnes. Résultat : en période pluie, et elles peuvent se montrer torrentielles dans la région, les eaux de ruissellement contaminées ont vite fait de repolluer les terrains préalablement décontaminés.
Si l’on ajoute à cela une économie locale (principalement agricole) ravagée, des communautés détruites, des cancers de la thyroïde en augmentation, des contrôles alimentaires laissant à désirer, des fuites d’eau radioactives répétées à la centrale – où l’on cherche toujours 600 tonnes de combustible nucléaire (disparu ?) – et des infos pas vraiment fiables – pas question de parler de « fusion du cœur » [du réacteur] pour le président de Tepco -, on comprend que les quelques 100 000 personnes toujours éloignées ne soient guère enthousiastes à l’idée de retrouver leur foyer.
Reste que le gouvernement japonais dispose d’un argument de poids pour les forcer à retourner chez elles : le montant des compensations accordées à chaque sinistré. C’est que, depuis la catastrophe, tout évacué, quelque soit son âge, reçoit une somme mensuelle de 100 000 yens, environ 860 euros, soit 3 500 euros pour un foyer avec 2 enfants, et une aide au logement. Pas énorme, mais de quoi survivre quand on a tout perdu, y compris son boulot. En déclarant ces territoires décontaminés et en levant l’interdiction d’y résider, les autorités transforment de facto ceux qui refusent de rentrer chez eux en citoyens « ordinaires » et, à ce titre, inéligibles à ces compensations financières. Une sérieuse source d’économies pour Tepco et l’État japonais, ce dernier assurant la plus grande part de ces versements.
cd208175fc1bedc0e9b052f83cb2f010Une normalisation voulue par « Super Mario » – c’est ainsi qu’est apparu déguisé le Premier ministre japonais lors de la cérémonie de clôture des Jeux de Rio -, prêt à tout pour redorer l’image de son pays avant les prochaines olympiades, qui auront lieu au Japon en 2020. Pourra-t-il relancer un parc nucléaire à l’arrêt quasi total depuis cinq ans ? Le plombier japonais va devoir être plus convaincant.

A propos werdna01

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