Transition énergétique : quelle place pour la sobriété ?

L’âge de faire – novembre 2017 – Fabien Ginisty/ Nicolas Bérard – Le matin, nos enfants quitteront leurs maisons à énergie positive les batteries gonflées à bloc.  Avant de partir ils auront pris le temps nécessaire, histoire de boucler leur fin de mois, de revendre leur électricité au plus offrant sur une place de marché Internet. Puis direction le centre de la métropole, en vélo, depuis la banlieue – les loyers du centre-ville seront devenus encore plus chers. Le service public du métro existera encore, mais il sera devenu inaccessible en termes de prix, comme le train, à moins de bénéficier du tarif « personne à vélocité réduite« . A la pause déjeuner, ils savoureront des burgers pur bœuf à la  viande in vitro. Celle-ci sera devenue moins chère que les élevages vivants, soumis à la taxe méthane. Il ne restera donc que quelques élevages « en pleine nature », destinés à entretenir l’environnement des mégas parcs éoliens et photovoltaïques. Ces immenses étendues, nos enfants les apercevront le long de l’autoroute, l’été, quand ils partiront en vacances pour fuir la chaleur et retrouver la vraie nature, dans les espaces labellisés « Paysages préservés« . A moins qu’ils aient les moyens de se payer l’avion, devenu ultra-taxé, pour se rendre dans un « Pays préservé« …
Tout le monde ou presque est (enfin) convaincu que la transition énergétique est nécessaire, que nous devons sortir de la dépendance aux énergies fossiles. Mais de quelle transition parlons-nous ? Et quel projet de société voulons-nous pour émerger avec cette transition ? Cette révolution énergétique peut nous conduire au pire comme au meilleur, selon la façon dont elle est conduite. C’est pourquoi il nous semble nécessaire de poser les questions qui fâchent. Il n’y a pas de solution parfaite ni de recette miracle : toute production énergétique a des impacts plus ou moins lourds sur la nature, les habitants, le paysage. on le voit aujourd’hui avec le nucléaire. Nous devons donc nous approprier cette transition afin de distinguer ce qui relève de la nécessité du choix citoyen. Pour que les choix énergétiques contribuent aussi à une société plus sympathique où le confort, la possibilité de se déplacer et d’être proche de la nature ne soient pas concentrés par – et pour – un petit nombre, mais équitablement répartis.
Remplacer un extractivisme par un autre ?
« Si elle n’est pas bien menée, la transition énergétique ne nous fera pas sortir de l’ornière, prévient Philippe Bihouix, ingénieur centralien et auteur notamment de L’âge des low tech (1). Cela pourrait simplement aboutir à remplacer un extractivisme pétrolier par un extractivisme minier encore plus important que celui que l’on a actuellement.« 
Remplacer les centrales à charbon et les centrales nucléaires par des éoliennes et des panneaux solaires – qui eux-mêmes réclament énergies et matières premières pour être construits – nous permettrait, tout au plus, de repousser de quelques décennies l’échéance d’un véritable transition. Or, note Philippe Bihouix, « le discours lancinant qui se cache derrière les énergies renouvelables, c’est de dire » on a les solutions pour continuer comme aujourd’hui, c’est juste une question de volonté politique, de subventions qui doivent être mieux réparties et de taxes qui doivent être mieux imaginées. « C’est loin d’être aussi évident et on peut douter de notre capacité à remplacer les macro-systèmes techniques comme le pétrole et le gaz aussi rapidement et aussi facilement qu’on nous le dit« .
Ainsi, poursuit Bihouix, « la transition doit se faire d’abord avec beaucoup de sobriété, beaucoup d’innovation organisationnelle et sociétales sur les modes de déplacements, la manière d’habiter, de travailler, de se nourrir… » Et même de rêver : si le rêve de tout un chacun est de pouvoir s’acheter une plus grosse cylindrée que celle du voisin – voyez aujourd’hui les pubs des constructeurs automobiles … -, la transition est mal barrée. il s’agirait donc moins d’une transition que d’une « révolution » de notre mode de vie.
Révolution qui peut parfois se traduire par des gestes simples et de l’outillage low tech : le mode de chauffage le plus écologique n’est ni le chauffage au gaz, ni même la pompe à chaleur, mais le pull en laine tricoté par mamie.  De même, les moyens de transport les moins polluants sont la marche à pied, le vélo, puis les p transports collectifs comme le train pour les plus longues distances. Mais comment reprocher à monsieur René d’utiliser sa vieille voiture diesel, lui qui, pour payer ses factures, a accepté un boulot mal rémunéré à 70 km de son petit village où la gare SNCF est fermée depuis dix ans ?
Favoriser la sobriété en luttant contre l’ébriété
L’association néga Watt a élaboré un scénario faisant sortir la France des énergies fossiles et nucléaires d’ici 2020 (2). Ce scénario passe, lui aussi par la sobriété, mais celle-ci se traduirait essentiellement par la chasse à « l’ébriété énergétique« . « L’ébriété énergétique, c’est une consommation déraisonnée, qui n’est pas liée à une augmentation de confort, explique Stéphane Chatelin, directeur de l’association. Un exemple : dans un bâtiment de bureaux, vous pouvez réduire de 30 % la consommation d’électricité simplement en arrêtant les appareils qui fonctionnent la nuit – les ordinateurs, la ventilation l’éclairage, la machine à café… »
L’objectif du scénario néga Watt étant de diviser par deux la consommation finale d’ici 2050, il prône également un effort important dans le domaine de « l’efficacité énergétique ». Celle-ci peut passer par des avancées technologiques, comme les ampoules LED, qui éclairent autant que les lampes à incandescence, en consommant moins. L’efficacité passe également par les investissements : « Le chauffage des bâtiments est le premier poste de consommation d’énergie en France. On peut facilement diviser par quatre cette consommation en mettant en œuvre un grand plan de rénovation thermique« , indique Stéphane Chatelin.
Parallèlement, la sortie des énergies fossiles et nucléaire s’accompagne bien sûr du développement des sources d’énergies renouvelables. Première d’entre elles, selon néga Watt : la biomasse (3). celle-ci présente de nombreux avantages, dont celui d’être neutre en émission de CO2. « Avant être libéré lors de la combustion du bois, le dioxyde de carbone a été capté par l’arbre lors de sa croissance. Avec une bonne gestion de la ressource en bois, le bilan est donc neutre. Mais s’il faut raser les forêts pour faire fonctionner les centrales, ça devient très problématique » (4), précise Stéphane Chatelin.
Seconde source d’énergie renouvelable à déployer : l’éolien, puis le solaire. « Le potentiel est  énorme, nous avons des milliers de m2 de toitures disponibles. De plus, les prix sont devenus extrêmement compétitifs : le coût du kWh est environ deux fois moins élevé que celui des EPR du type de celui que nous construisons – péniblement – à Flamanville« .
Le solaire peu cher, mais à quel prix ?
Ce qui est possible à l’échelle de la France l’est-il aussi pour la planète ? De nombreuses difficultés supplémentaires apparaissent alors. Par exemple, la consommation énergétique hexagonale s’est, certes stabilisée, mais c’est aussi le fruit de la délocalisation en Asie d’une large part de son industrie. Si l’énergie solaire est si peu chère, cela s’explique d’ailleurs en partie par des économies d’échelles, des progrès techniques, mais aussi prece que la production se trouve essentiellement en Chine, dans des conditions sociales et environnementales qui posent question. « 
« Il ne faut pas perdre de vue d’où l’on parle : on reproche souvent aux énergies renouvelables des choses qui ne leur sont pas propres, nuance Stéphane Chatelin. La délocalisation, c’est vrai, pose problème, mais ça n’est pas propre aux panneaux solaires. il faut donc se poser la question, mais sur l’ensemble des biens de consommation et pas uniquement sur les énergies renouvelables. »
(1) L’âge de low tech, Philippe Bihouix, éd. Seuil 336p. 19,50 €
(2) disponible sur le site de l’association négawatt.org
(3) la biomasse est déjà la principale source d’énergie renouvelable en France. L’hydraulique étant pour sa part la principale source d’électricité d’origine renouvelable.
(4) La méga-centrale à biomasse de Gradanne est le parfait contre-exemple de ce qu’il faut faire en la matière.

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