La « métropolisation » accentue les inégalités géographiques des grandes agglomérations

L’âge de faire – Journal mensuel alternatif – janvier 2018 – Fabien Ginisty –
Pendant qu’on se demande qui sont au juste les « bobos », les quartiers populaires situés dans les grandes villes sont en train de connaître leurs dernières heures… ou presque : les habitants historiques n’ont pas dit leur dernier mot. Ils inventent des moyens de résister à l’embourgeoisement des villes, pour qu’elles restent des lieux à habiter et à rencontrer, et non des lieux à spéculer et à consommer
« Parisien, rentre chez toi !  » : depuis cet automne, des Bordelais n’hésitent plus à afficher leur grogne face au succès de l’attractivité de leur métropole qui n’en finit pas de rayonner, couronnée « ville la plus tendance du monde » par le Lovely Planet, l’équivalent anglo-saxon du Guide du routard. Des autocollants aux slogans anti-parisiens ont fait leur apparition en ville, avec, en fond visuel, le TGV qui place,depuis cet été, la métropole girondine à deux heures de Paris, de ses aéroports internationaux, et de ses investisseurs.
Bordeaux a connu la plus forte hausse des prix de l’immobilier en France en un an (15 %). Le quotidien Sud-Ouest souligne qu’un tiers de nouveaux acquéreurs sont des investisseurs locatifs, qui bénéficient pour beaucoup de dispositifs de défiscalisation. Conséquence de l’augmentation des prix : « Les primo et secundo accédants sont, en quelque sorte « chassés » de la ville » (1). L’embourgeoisement de Bordeaux est particulièrement visible à Saint-Michel, un quartier historiquement populaire de le Vieille ville, récemment rénové, où s’implantent des boutiques branchées, en complet décalage avec le portefeuille et la culture des habitants (2). sur les murs : « Parlez pas de mixité quand vous gentrifiez ! «  »
Flambée de l’immobilier à Bordeaux : jusqu’où les prix peuvent-ils grimper ?
Dans le quartier des Bassins à flot, 80% des propriétaires ont investi dans des produits de défiscalisation / Bonnaud Guillaume © /
Rénovation sans les habitants
« Il y a en général une première vague de nouveaux arrivants composée d’artistes, d’étudiants, d’artisans, qui se sont fait exclure d’autres quartiers du fait de l’augmentation des loyers. Ils importent leurs codes sociaux, les bars à bières, épiceries bio, espaces de co-working font leur apparition… Le quartier qui était présenté comme malfamé devient sympa, il commence à attirer. » Frantz Daniaud est un jeune urbaniste. Il déroule le processus de gentrification, en cours, dans toutes les grandes agglomérations occidentales, encouragé par les politiques publiques (l’Ile Beaulieu à Nantes, La Guillotière à Lyon, Arnaud-Bernard à Toulouse, La Plaine à Marseille, etc.)
Celui-ci, souvent présenté par l’anecdote ou la caricature (« Les parisiens« , « Les bobos« , ect.), est pourtant un phénomène géographique majeur, puisqu’il condamne les derniers quartiers populaires situés au centre des grandes villes. Et un phénomène d’une grande violence, puisqu’il conduit à expulser de fait les pauvres vers les périphéries. Il poursuit : « En parallèle, un programme de rénovation des espaces publics est mené, des incitations fiscales attirent les investisseurs. Finalement, le truc assez pervers est que ce qui a fait la nouvelle attractivité du quartier, a savoir la mixité sociale et les loyers pas chers, est condamné à disparaître du fait même de cette attractivité. Au terme du processus, les habitants historiques, ainsi que la première vague d’arrivants, se retrouvent dans un quartier qui est devenu trop cher pour eux. » Frantz Daniaud n(a pa voulu « faire de l’urbanisme sans les habitants« , comme on lui a  appris. Avec son camarade de promo Mathieu Cirou, il a créé une conférence gesticulée pour dénoncer « l’aménagement de la ville confié aux promoteurs« , et la recherche du profit comme seul critère d’aménagement (3).
Rue commerçante de Bayonne
Des centre-villes « hors-sol
« Avant, on mettait l’école au centre du quartier, Maintenant, on met les commerces et les bureaux, parce qu’on pourra en tirer un meilleur prix. » Les classes moyennes sont-elles condamnées à ne connaître des grandes villes que leurs « hot spots » touristiques, à l’occasion de week-end AirBnB ? C’est ce qui est en train de se passer à Bordeaux, où les familles des classes moyennes n’ont plus les moyens d’acheter en centre-ville. Les 20 % de logements sociaux sont-ils la caution d’un aménagement urbain qui conduit  à l’appauvrissement de la mixité ? C’est ce qui s’est passé à la Goutte d’or à Paris. Muséification des centre-villes, quartiers « hors-sol » réservés aux touristes… La gentrification n’est donc que la partie la plus visible d’un phénomène de ségrégation spatiale. Il existe pourtant des interstices, des éléments, non prévisibles, qui résistent à l’aménagement : les habitants eux-mêmes…
(1) Voir Sud Ouest du 8 septembre
(2) Lire à ce sujet le billet du collectif Pavé brûlant à propos de la boutique Yvonne
(3) Voir :  sur les chemins d’un urbanisme autogéré :  https://espascespossibles.org/

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