Le cimetière des éléphants

Le Monolecte – 8 octobre 2012 – Agnès Maillard
Mais où sont donc passés les socialistes ?
Été indienVendredi, c’était ma journée troisième âge. C’est un peu abrupt, dit comme cela et ce n’est pas un exact reflet de la réalité. Disons qu’en d’autres temps, j’avais promis à un ami de veiller sur ses parents qui habitent nettement plus près de chez moi que de chez lui. C’était un deal honorable. Puis notre amitié s’est dissoute dans un océan de non-dits et sont restés les parents et ma promesse. Je me suis posé la question un moment avant de décider qu’une promesse est quelque chose de bien trop sérieux pour en faire un aléa circonstanciel. Et puis aussi, je n’avais aucune raison objective de punir de petits vieux qui ont toujours été parfaitement adorables avec moi.

J’avais un peu relâché le service ces derniers temps. Ça, comme le reste : je fais rarement dans le détail. Pas envie de montrer ma face obscure. Et puis, plus de voiture, ça aide beaucoup à distendre les relations intervillages dans mon coin de planète de grande ruralité. Ce qui aboutit toujours à des arbitrages à la con : se chauffer ou se déplacer. Que la question se soit imposée à moi en plein mois d’août ne change rien à la logique du choix final. Quand j’aurais brûlé la dernière goutte de fuel de la cuve, non seulement j’aurais eu froid, mais en plus j’aurais toujours été à pied, ce qui aurait grandement compromis ma capacité à gagner l’argent de la cuve suivante. Tandis que là, je vais peut-être me peler le cul dès la fin de l’été indien, mais au moins je pourrai continuer à quadriller la cambrousse. En attendant de résoudre mes problèmes de baignoire à mazout, je fais donc le plein de chaleur humaine.

La première visite était pour une de ses amies hospitalisée, grand-mère d’un autre ami, toujours en service actif. C’est rassurant de voir qu’au fil du temps, mon quota de pertes reste acceptable.
Elle se remet doucement d’une chute et d’un AVC, je ne sais plus dans quel ordre, le duo gagnant. Ce dont elle se remet moins bien, c’est de la vieillesse et de son hideux corollaire de dépendances. En gros, plus que ses jambes et son bras qui l’ont lâchée, c’est d’avoir perdu sa liberté de mouvement qui la mine au point où elle préférerait être morte du premier coup. Je comprends. Mais je ne peux pas approuver. Je trouve juste étrange que notre monde hypermédicalisé ne prenne pas du tout en compte les dépressions du troisième âge. On les perfuse, on les masse, on les rafistole, on les maintient vaguement en fonctionnement, et on s’étonne ensuite de les voir pleurer leur déchéance physique et leur peur de la mort. C’est pourtant terriblement humain. Mais on préfère les gaver d’antidépresseurs, histoire de ne pas épouvanter les familles démoralisées par toutes ces larmes de désespoir qui ne parviennent même plus à s’écouler dans les canyons que le temps a creusés dans leurs visages.
Du coup, je repense à une émission vue sur Arte où des médecins un peu expérimentateurs testent des trips de LSD sur les cancéreux en phase terminale. Juste pour apprivoiser la mort et la peur qui rôdent et gâchent souvent leurs derniers instants. Ça lui ferait du bien, un bon trip de LSD, bien plus que mes petites phrases vides pour lui rappeler qu’il y a toujours quelques bons moments à grappiller, jusqu’au bout, mais bon, même sans hallucinogènes, j’arrive à lui arracher quelques maigres sourires et c’est toujours ça de gagné !

La deuxième grand-mère, je ne la connais pas. Elle vit encore chez elle, mais sur elle aussi, l’étreinte du temps se fait sentir. Le temps et la vie. La chienne de vie et ses coups de pute que tu ne souhaiterais même pas à ton pire ennemi. Elle, elle a morflé, question coups de pute, ça, je le savais avant de la voir. J’aime bien le bleu délavé de ses yeux un peu gonflés, de larmes ou de lassitude, je ne sais pas, probablement un peu des deux. Ses traits ont fondu sous les assauts du temps, mais j’entrevois, ici et là, les vestiges de la femme qu’elle a été : une arrête nasale encore vive, un menton pas encore complètement effacé et une vivacité d’esprit que rien n’a encore totalement fait sombrer. J’aimerais tellement la photographier, mais j’ai déjà eu quelques discussions malheureuses avec des femmes comme elles, qui ne se reconnaissent plus depuis longtemps dans le miroir et qui refusent de fixer sur une photo ce que la vie leur a fait subir. Je me contente de photographier son lierre automnal et la laisse papoter avec sa copine un peu perdue de vue. Comme trop souvent, à ces âges.

Je crois qu’elle a suivi le cours de mes pensées, parce qu’elle me dit, alors que je la raccompagne chez elle après notre tournée des vieilles popotes : Vous savez, Agnès, à l’intérieur de moi, je n’aurai jamais mon âge.
Ça aussi, je comprends.

C’est sur le chemin du retour que je suis assaillie par l’odeur reconnaissable entre toutes du métal trop chaud. Quiconque a roulé en guimbarde sait très exactement de quoi je parle, de ce fumet qui anticipe parfois de fort peu le chant du cygne de la voiture. Je vérifie mon frein à main : parfaitement desserré. L’odeur s’accentue. Il y a, à présent, une note d’huile brûlée qui prend le dessus. Je n’ai la Saxo que depuis trois semaines et elle tourne comme une horloge. Je pensais qu’elle me laisserait tranquille plus longtemps. Mon garagiste m’avait félicitée pour la pertinence de mon choix. Trois semaines du pur bonheur d’une voiture qui démarre au quart de tour, qui ronronne doucement, qui me conduit sans à-coup du point A au point B et tout ça avec la consommation d’un dromadaire de compétition. Toujours aucun voyant suspect, aucune sensation étrange de conduite et ça sent la friture de moteur à plein pif.
Et puis, je le vois. Le petit panache de fumée qui s’élève du train arrière… de la Clio devant moi. Papet se traîne sur la départementale, parce que Papet a oublié de desserrer son frein à main.

Première rafale de feux de croisement. Les gars en face le prennent pour eux.
Seconde rafale, pause rapide, je remets ça. Je n’aime pas klaxonner. Je ne sais jamais où est le couineur. Finalement la Clio rouge s’immobilise sur le bas-côté. Je sors à la rencontre du Papet.

Ça alors, Agnès ! Mais je ne t’aurais jamais reconnue. Mais quelle silhouette tu as, à présent !Ça doit bien faire deux ans que je n’ai pas vu Le Basque. Bon marcheur. Grand dragueur. Ségoliniste impénitent. Je suis sur sa mailing-list politique, mais depuis la fin de la primaire socialiste, il a pris un petit coup de mou. Ça me fait juste un immense plaisir de le revoir.
Et ouais, tu as vu ça ? Ça ne rigole plus !Et je lui fais la danse des Cachous Lajaunie pour rigoler.
Cela dit, je ne t’ai pas fait arrêter sur le bas-côté pour vanter mes nouvelles mensurations, mais bien pour te prévenir que tu es en train de cramer ton système de freinage.
De quoi ?
Tu as oublié de desserrer ton frein à main, tu fumes depuis Manciet.
Oh putain, tu as raison ! Ça ne m’est jamais arrivé ! Oh là là.Ça fume de partout. Je ne suis pas certaine de l’avoir prévenu à temps. Mais ce n’est pas trop grave.
Tu sais quoi ? Ce serait sympa qu’on se refasse une course en montagne, très bientôt.
Ben là, mon dos me fait un peu des misères, mais sinon, c’est une bonne idée.
Finalement, la petite voiture roule toujours aussi bien. C’est peu et c’est déjà beaucoup. Il fera encore chaud demain. Et après, on verra bien.

Quant aux socialistes, ils ont voté pour une promesse et ils savent déjà qu’ils ont été trahis. Je le savais avant, mais comme le disait un pote : au moins, ils seront plus cool avec les étrangers.
Ben, même pas ça !
Les prolos et les bonnes âmes sont toujours les grands cocus du bal politique : il y a cinq ans, on leur promettait de gagner plus ; il y a cinq mois, on leur vendait du changement. Et au final, tout se passe exactement comme s’ils n’étaient que des figurants de leur propre vie. Je pense qu’au prochain cirque électoral, on pourra aussi bien voter pour une couille de hamster, vu l’état de notre démocratie, ça ne fera pas plus de différence qu’autre chose.

Alors quoi, où je voulais en venir avec mes histoires sans queue ni tête ?
Nulle part.
Exactement comme pour tout le reste : Nulle part !

A propos werdna01

Hors des paradigmes anciens et obsolètes, libérer la parole à propos de la domination et de l’avidité dans les domaines de la politique, de la religion, de l’économie, de l’éducation et de la guérison, étant donné que tout cela est devenu commercial. Notre idée est que ces domaines manquent de générosité et de collaboration.
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