Le « dévoiement absolu » du fichage ADN

L’âge de faire – juin 2017 – Fabien Ginisty –
Les empreintes génétiques de 3,5 millions  de personnes, dont la grande majorité sont simplement suspectées, sont détenues par les autorités françaises. Le fichage génétique se développe à un rythme exponentiel, tout comme les progrès scientifique qui permettent de faire parler l’ADN recueilli.
Au début, il y a Guy Georges. En 19988, le « tueur de l’est parisien » est confondu grâce à la génétique. Trois mois plus tard, le prélèvement ADN systématique est mis en place pour les auteurs de crimes et délits sexuels commis sur des mineurs de moins de 15 ans. Le Fichier National Automatisé des Empreintes Génétiques (FNAEG) voit le jour. La police dispose ainsi d’un moyen présenté comme infaillible et simple – un peu de salive suffit – pour vérifier que les délinquants sexuels déjà condamnés n’ont pas récidivé. Seuls sept segments d’ADN et non sa totalité, sont conservés par la police. Ces sept segments ont été choisis parce qu’ils sont censés être « non codants« , c’est à dire qu’ils doivent permettre d’identifier les personnes sans apporter aucune information : tendance à telle maladie génétique, etc. Résumons : en 1998, le fichage concerne les délinquants sexuels reconnus coupables, répertorient 7 segments non codants. En 2002, le FNAEG compte 4 369 profils.
En 2017, qu’est devenu le FNAEG ? « C’est l’histoire d’un « dévoiement absolu » alerte Laurence Blisson, secrétaire générale du syndicat de la magistrature, à propos des lois successives qui ont assoupli les critères de fichage. Jugez plutôt : aujourd’hui, plus de 130 infractions pénales sont concernées, du meurtre au vol d’un jouet par un mineur dans un supermarché (1) , en passant par l’insulte à agent et l’attroupement illégal. Seules les infractions au code de la route (trop impopulaire ?)  et la délinquance financière (sans commentaire) semblent exclues du fichier. Par ailleurs, même si votre fiston est relaxé pour vol de bonbon, rien à faire : depuis 2001, les personnes simplement suspectées sont dans l’obligation de donner leur ADN aux forces de l’ordre. Même innocentées, elles risquent un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende si elles refusent. Ainsi, à Strasbourg, un manifestant contre la loi travail a écopé en novembre de 2 mois de prison ferme pour refus de prélèvement !
Les procureurs incités à poursuivre les refus
Les cas où les juges prononcent de la prison ferme sont rares. En revanche, « les circulaires ministérielles incitent les procureurs à poursuivre systématiquement les refus de prélèvement« , indique Laurence Blisson. Exemple récent : l’été dernier, Maxime (2) était présent à Mandres-en-Barrois, près de Bure, en Meuse, à l’occasion d’une manifestation contre la construction du centre d’enfouissement des déchets atomiques. passons sur les conditions de son arrestation par une milice privée pas du tout assermentée, alors qu’il se tient loin de toute échauffourée entre les forces de l’ordre et les manifestants. Placé en garde à vue pour « violence en réunion avec arme sur agent dépositaire de l’autorité publique« , durant 30 heures, Maxime refuse de donner son ADN. N’ayant naturellement aucun début d’élément pour poursuivre le militant, la procureure classe l’affaire san suite… mais estime que Maxime est suffisamment « suspect » (du fait d’avoir manifesté ?) pour être poursuivi pour refus de prélèvement d’ADN. Lors de son procès, en janvier, le parquet a requis 500 euros d’amende. Le jugement sera rendu début juillet. « C’est un dossier grotesque », résume Étienne Ambroselli, son avocat.
Un quart de la population fichée ?
Un « grotesque » qui est devenu semble-t-il la norme : en 2012, le FNAEG contenait 2 millions d’empreintes, dont 80 % appartenaient à des personnes non coupables du motif par lequel on les avait prélevées. Et la famille des personnes fichées ? En 2013, le média Slate.fr révélait que la police utilise la méthode du « familial search » – c’est à dire qu’elle se sert de l’empreinte génétique d’une personne pour identifier un parent – et se livrait à un calcul simple : « Avec deux parents, deux enfants en moyenne, donc un frère et une sœur, il n’est plus question de deux millions de patrimoines génétiques fichés, mais cinq fois plus. » (3). Aujourd’hui, le FNAEG répertorie les segments ADN de quelques 3,5 millions d’individus… soit 17,5 millions de patrimoines génétiques fichés, si l’on prend le calcul de Slate.
Enfin, revenons en à nos 7 segments prélevés : « depuis 2016, on prend 16 à 18 segments, car plus on fait de prélèvements sur une population, plus il faut un nombre important de segments pour réduire les marges d’erreur« , indique Catherine Bourgain, chercheuse en génétique à l’Inserm (4). Et la science a fait des progrès : « Aujourd’hui, avec ces segments sélectionnés, prétendument non codants, on peut connaître la prédisposition à certaines maladies génétiques, ou encore l’origine géographique des personnes. C’est absurde de considérer qu’il existe des bouts d’ADN non codants« , dénonce Etienne Ambroselli. Demain, avec ces 16 segments recueillis, que pourra-t-on savoir d’une personne prélevée aujourd’hui ? Et quel pouvoir politique aura accès à ces données ?
(1) cas véridique de deux frères de 8 et 11 ans poursuivis parce que leurs parents ont refusé leur fichage ADN suite au vol de deux balles rebondissantes et de deux Tamagochi dans un supermarché
(2) le prénom a été modifié
(3)Lire :  L’ADN d’un Français sur six est fiché
(4) Lire : Fichage ADN : tout ce que la police peut savoir sur vous
 et En France, la liberté de manifester gravement menacée par l’état d’urgence

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