Pleyel – Pianos : La prestigieuse marque française, fondée en 1807 et portée par Chopin disparait après une lente agonie.

LE MONDE | 22.11.2013

La saga Pleyel se termine en marche funèbre

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Le piano Pleyel utilisé par Frédéric Chopin, présenté à la Cité de la musique, en mars 2010. | AFP/OLIVIER LABAN-MATTEI
Le monde du piano a la larme à l’œil depuis le 12 novembre et l’annonce officielle de la fermeture des ateliers Pleyel, à Saint-Denis (S-St-Denis). Mélomanes, interprètes, directeurs de conservatoire, personnalités musicales, et même quelques membres du gouvernement… Ils sont nombreux à déplorer la fin de la célèbre marque française, fondée en 1807, soit la plus ancienne manufacture de pianos au monde.
Ce dénouement était pourtant prévisible, tant l’agonie de Pleyel fut longue, ponctuée par cinq dépôts de bilan en une trentaine d’années. Elle a commencé dès les années 1950. Et personne n’a pu l’enrayer. Ni Hubert Martigny, patron d’Altran Technologies, qui a pourtant injecté des millions quand il est devenu propriétaire de l’entreprise, en 2000.
LABEL « ENTREPRISE DU PATRIMOINE VIVANT »
Ni l’Etat, qui, en 2008, a attribué à la marque le label « entreprise du patrimoine vivant » dans le but de la dynamiser – un cautère sur une jambe de bois. Ni Didier Calmels, dernier repreneur en date, il y a neuf mois à peine, et qui vient de tirer le rideau. Les ventes étaient maigres et les pertes en hausse – 2,7 millions d’euros en 2012, soit plus du double du chiffre d’affaires.Piano_P204_PleyelHubert Martigny s’est beaucoup battu pour sauver Pleyel pendant une petite dizaine d’années. Mais a-t-il fait les bons choix ? Le facteur de pianos Stephen Paulello, qui a collaboré à la fabrication d’un nouveau demi-queue – le P 204 –, mis sur le marché en 2008, au prix de 64 000 euros, remarque : « Hubert Martigny est un Bon Samaritain qui a englouti dans Pleyel une partie de sa fortune. Sans doute a-t-il été mal conseillé. »
Mal conseillé ? Hubert Martigny a amorcé un virage à 180 degrés en abandonnant le marché grand public, dominé par des entreprises asiatiques, pour centrer la production sur de luxueux prototypes signés par de grands designers (Andrée Putman, Michele De Lucchi) ou des artistes plasticiens (Marco del Re).
Essentiellement destinés à de riches propriétaires de yachts ainsi qu’aux Emirats, ces superbes « objets musicaux » ont fait la « une » des magazines d’art et de design, mais ils ont confirmé le divorce, déjà consommé, avec le milieu de la musique.
« BORIS BEREZOVSKY A SOUHAITÉ L’ESSAYER UNE FOIS »
Depuis pas mal de temps, rares sont en effet les musiciens à composer et à jouer sur un Pleyel. Il y a bien le pianiste Yves Henry (qui a un accord de partenariat avec Pleyel) ou le chanteur Jacques Higelin, mais sinon ? Catherine d’Argoubet, la patronne du festival Piano aux Jacobins à Toulouse, confirme : « En trente-cinq ans, aucun pianiste ne m’a demandé un Pleyel. Ils demandent à plus de 90 % des Steinway. Quelques-uns plébiscitent Yamaha, certains veulent Bösendorfer ou Bechstein et il y a eu la mode des Fazioli. Mais Pleyel, c’est fini. »

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Même constat pour Emmanuel Hondré, directeur de la production de la Salle Pleyel : « Nous avons à notre disposition le grand piano de concert Pleyel, mais seul le Russe Boris Berezovsky a souhaité l’essayer une fois : il en a d’ailleurs été satisfait. » Au Festival de piano de La Roque-d’Anthéron, il suffit de regarder l’affiche et son enfilade de grosses bêtes noires sous les platanes bicentenaires – tous des Steinway de concert.
« Le monde de la musique ne nous a jamais soutenus, relève, non sans amertume, un proche de la direction de Pleyel, qui a souhaité garder l’anonymat. Les grands artistes, qui voyagent en changeant la plupart du temps d’instrument, préfèrent le confort d’un Steinway au même titre qu’ils préfèrent loger dans la chambre type d’une grande chaîne hôtelière. Quant aux écoles de musique, elles ne se sont jamais fournies chez nous ! »
Ces responsables de conservatoire qui pleurent avec les crocodiles ont en effet acheté japonais, sud-coréen ou chinois, parce que leurs instruments étaient moins chers. Et de meilleure qualité, plaident-ils.

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Si l’on plonge dans l’histoire, on constate que « La Grande Guerre a porté un premier coup à Pleyel », raconte le restaurateur de pianos Gérard Fauvin, patron du Domaine musical de Pétignac, en Charente. Ce dernier explique : « Beaucoup d’artisans, ébénistes, menuisiers, tableurs, sont morts au front. A cela s’est ajoutée une pénurie du matériau de qualité. Le bois comme le métal étaient réquisitionnés par l’industrie de guerre. »
PRESTIGIEUSE SALLE PLEYEL

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L’ouverture en 1927 de la prestigieuse Salle Pleyel, non loin des Champs-Elysées, à Paris, n’y changera rien. La crise de 1929 et la seconde guerre mondiale achèvent le travail de sape quand bien même une prestigieuse lignée de pianistes, d’Alfred Cortot à Yves Nat, de Marcelle Meyer à Samson François, perpétuent la tradition du jeu français, clair et ductile, sur les pianos Pleyel.
La deuxième moitié du XXe siècle est une descente aux enfers ; faillites, fusions, cessation d’activité, location allemande (les pianos Schimmel, en 1972), déménagement à l’usine Rameau (à Alès, dans le Gard, en 1973), repli définitif en 2007 dans la manufacture historique de Seine-Saint-Denis… La baisse inexorable du marché en Europe s’explique par l’irrésistible ascension de la production asiatique – Japon, Corée, mais aussi Chine, qui a produit en 2012 quelque 250 000 pianos, soit le nombre de Steinway fabriqués en un siècle et demi.
Reste le son Pleyel. Les fameux instruments de l’époque romantique auxquels Frédéric Chopin a attaché son nom et à qui Camille Pleyel, fils du fondateur Ignaz Pleyel, fournissait des pianos, dont le musicien assurait la promotion moyennant un pourcentage sur les ventes.
« Le Pleyel de Chopin était réputé pour la légèreté du clavier et la douceur de son timbre, explique Thierry Maniguet, conservateur au Musée de la Cité de la musique, à Paris. C’était un piano de salon intimiste, comparé aux Erard plus adaptés aux salles de concerts. Dans les années 1930, les Pleyel, certes plus puissants, possédaient toujours leur timbre velouté. »
NOSTALGIE PROUSTIENNE
Ce son français, le pianiste Alain Planès l’a retrouvé en gravant, en 2009, pour Harmonia Mundi, un disque Chopin sur un Pleyel de 1836. « Je suis allé chercher sur cet instrument qui n’avait jamais été retouché des couleurs de son contrastées que permettent des registres très différenciés entre le grave, l’aigu et le médium, et que les pianos modernes ne permettent plus. »
Entre une nostalgie proustienne en quête de vérité musicale et le rêve bling-bling de nouveaux riches en mal de notabilité, Pleyel saura-t-il retrouver le cœur des musiciens ?
Car la marque aux lettres bicentenaires ne fermera pas son showroom de la rue du Faubourg-Saint-Honoré, à Paris, compte tenu du stock existant.
Marie-Aude Roux

La saga du groupe Pleyel

Le Monde.fr | le 21.11.2013

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Ignace Pleyel, le fondateur (1757-1831).
1807 La fondation de la manufacture
Ignace Pleyel (1757-1831), maître de musique, compositeur et chef d’orchestre, lance la fabrication des premiers pianos Pleyel, d’abord en collaboration avec Charles Lemme pendant quelques mois, puis en solo
infographie
 Le Monde.fr avec AFP | 13.11.2013
Note de fin pour la manufacture de pianos Pleyel
La manufacture de pianos Pleyel devrait prochainement fermer ses portes. « Dans une indifférence quasi générale, les prestigieux Ateliers Pleyel ont annoncé l’arrêt de l’activité du site de Saint-Denis », a annoncé mardi 12 novembre la Confédération française des métiers d’art (CFMA).

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Les pianos standard ont été arrêtés, pour tout miser sur des instruments haut-de-gamme. | AFP/FRANCOIS GUILLOT
 Un responsable de cet ancien fleuron de l’industrie musicale française a confirmé la fermeture prochaine des ateliers, dont l’activité s’était considérablement réduite ces dernières années. « Le processus est en cours, ça va se faire avant la fin de l’année. Je fais partie des gens qu’on remercie, on est 14 dans la même galère, à se retrouver sur le carreau », a dénoncé ce salarié, qui a souhaité rester anonyme.
« PLAN SOCIAL DE GRANDE AMPLEUR DANS LE SECTEUR DES MÉTIERS D’ART »

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Travail sur une table d’harmonie de piano, dans les ateliers du manufacturier Pleyel, à Alès. | NADIA GONZAGUE/TRANSIT POUR « LE MONDE
Le plus ancien fabricant de pianos encore en activité dans le monde, fondé en 1807 par le compositeur Ignace Pleyel (1757-1831), avait déjà cessé en 2007 sa production à Alès, jugée non rentable face à la concurrence étrangère, notamment chinoise et coréenne.

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La marque avait ainsi décidé de se recentrer sur le haut de gamme, réduisant sa production annuelle de 1 700 pianos en 2000 à une vingtaine aujourd’hui.
« Cette disparition est symptomatique du plan social de grande ampleur actuellement à l’œuvre dans le secteur des métiers d’art. Chaque jour, des ateliers et des savoir-faire ancestraux, constitutifs de l’ADN économique et culturel de notre pays, disparaissent », regrette le CFMA.

A propos kozett

Deux phénomènes peuvent amener à une manipulation dans la prise en compte des informations par notre conscience : --> Le mirage qui voile et cache la vérité derrière les brumes de la sensiblerie et de la réaction émotionnelle. --> L’illusion qui est une interprétation limitée de la vérité cachée par le brouillard des pensées imposées. Celles-ci apparaissent alors comme plus réelles que la vérité qu’elles voilent, et conditionnent la manière dont est abordé la réalité … A notre époque médiatisée à outrance, notre vigilance est particulièrement requise !
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